La Nuit des fous vivants

La Nuit des fous vivants (1973)

  • Titre original: The Crazies
  • 1 h 43 min | Action, Drame, Horreur, Thriller | 16 mars 1973
    Note
    9/10
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    La paisible ville d'Evans City est envahie par l'armée après qu'une arme biologique contenant le virus Trixie s'y soit répandue. Les personnes infectées sombrent peu à peu dans la folie.

    Immersif, violent, profondément choquant et auréolé d’un pessimisme presque insoutenable ; The Crazies reste à mes yeux l’un des meilleurs films de l’histoire du cinéma à aborder le thème de l’épidémie avec une telle virtuosité.  Absolument tous les éléments nécessaires à la conception d’un authentique chef-d’œuvre sont réunis au sein du quatrième long-métrage (après Night Of The Living Dead, There’s Always Vanilla et Season Of The Witch) du pope of the living dead, j’ai nommé George A. Romero. Se présentant à la fois comme une sorte de fable écolo-tragique, un pamphlet antimilitariste virulent et un écho explicite à La Nuit des Morts-Vivants, The Crazies se heurte de plein fouet aux pseudo-convictions humanistes de son temps et se régale à balayer d’un revers de la main la moindre parcelle d’espoir qui pouvait encore subsister de voir l’être humain s’élever en tirant définitivement un trait sur ses erreurs passées. Eh bien non, c’est une véritable spirale infernale que met en exergue Romero par le biais de cette représentation unique en son genre d’une humanité condamnée à s’autodétruire jusqu’à la fin des temps. Mais voyons à présent d’un peu plus près de quoi il retourne exactement…

    Ce qui surprend le plus lorsque l’on entreprend de visionner La Nuit des Fous Vivants (ainsi fut-il intitulé en France, bien évidemment en référence à La Nuit des Morts-Vivants), c’est cette formidable portée dramatique contenue dans la multitude d’images-chocs qui constituent le métrage. En effet, il m’a rarement été donné d’assister à une œuvre aussi sombre et désespérée… Comme à son habitude, le créateur de la saga des morts-vivants agrémente son œuvre d’une bonne dose de satire acerbe du système américain, en se focalisant cette fois-ci sur l’armée et le gouvernement. Ainsi, ce sont les dérives de la hiérarchie, avec ses chienchiens bien dressés qui obéissent sagement aux ordres en ignorant tout des véritables raisons de leur mobilisation sur Evans City ; les moyens extrêmes mis en œuvre par le gouvernement pour enrayer la contagion du virus (entre autres le recours à des « camps de quarantaine » et même à l’arme nucléaire) ; mais aussi la tendance naturelle de l’homme à céder à ses plus bas instincts sous l’influence de la panique qui se retrouvent dénoncés dans The Crazies avec une énergie ahurissante que le spectateur ne peut qu’aisément ressentir dans l’intégralité du film.

    Cette colère sourde, fulminante, est déjà très présente dans le montage, opéré par Romero lui-même. Adepte du montage cut, le cinéaste pousse le concept à son paroxysme en enchaînant une foulée de plans  tous plus nerveux les uns que les autres et qui en moyenne ne durent pas plus de trois secondes chacun. La sensation de pure panique, d’énorme dispersion d’énergie et de folie furieuse qui émane du montage est ce qui caractérise le mieux The Crazies. Cette œuvre monumentale qui nous parle de folie, pas seulement celle des contaminés mais aussi et surtout de ceux qui ont toute leur tête et peuvent décider du sort d’une ville en un claquement de doigts, est en réalité elle-même complètement givrée, d’une nature profondément marquée par le déséquilibre et la démesure. Les personnages qui s’agitent dans tous les sens sans répit et vocifèrent à gorge déployée contre leurs supérieurs à mesure que le désespoir gagne de plus en plus de terrain rappellent irrémédiablement les battements d’ailes frénétiques d’une mouche engluée dans du miel ou les tremblements irrépressibles d’un rat de laboratoire acculé au fond de sa cage. Même les non-infectés deviennent peu à peu fous à lier, complètement dépassés par des évènements qu’ils n’avaient absolument jamais envisagés et pour lesquels aucune précaution n’avait été prise au préalable. L’armée et ses conneries d’expérimentations bactériologiques, ou comment mettre une ville à feu et à sang en une seule nuit…

    Car en effet, à l’instar de La Nuit des Morts-Vivants avec lequel il entretient de nombreuses similitudes, The Crazies déploie son histoire selon la même temporalité, soit un jour complet. Romero parvient à restituer le chaos dans lequel est plongée cette petite ville tranquille de Pennsylvanie avec  un incroyable talent, notamment par le choix judicieux du style documentaire qui confère à son film un réalisme pour le moins époustouflant. De ce fait, certaines scènes sont juste hallucinantes et ont le mérite de nous soulever le cœur tant elles sont criantes de vraisemblance mais aussi et surtout d’atrocité. Citons parmi elles la mise en avant du comportement de plus en plus déviant des soldats qui finissent par tirer sur tout ce qui bouge sans sommation (hommes, femmes, enfants, vieillards) et vont même jusqu’à piller les cadavres qu’ils s’apprêtent à brûler ; la finalité inévitable de la relation malsaine au possible entre Arty et sa si pure et jolie fille Kathy ; le détachement impitoyable des « puissants » face au sort qu’ils entendent réserver aux habitants d’Evans City (les dialogues sont tout simplement géniaux), et bien d’autres encore qui valent vraiment le détour de par leur impact intemporel et inconditionnel. Pour finir, j’ajouterai que la séquence d’introduction de The Crazies est tout bonnement l’une des plus puissantes et des plus immersives jamais réalisées au cinéma.

    En définitive, le seul reproche que l’on pourrait faire à The Crazies (encore que, c’est vraiment très relatif) serait son rythme narratif extrêmement soutenu qui peut rendre le visionnage du film un peu éprouvant pour ceux qui ne seraient pas habitués à ce genre de découpage ultra-précis et sous tension constante. Ça part dans tous les sens, c’est certain, il y a beaucoup de bruit et d’agitation, beaucoup de dialogues à couteaux tirés aussi, mais ces éléments sont à mon sens le point fort du film et ce qui contribue en grosse partie le à rendre si… « brut de décoffrage », si vous voyez ce que je veux dire. Côté technique pure et dure, l’on peut dire que sans atteindre des sommets de génie, tout est suffisamment réussi pour nous plonger dans l’ambiance sans aucune difficulté. Comme toujours, l’on sent que Romero maîtrise parfaitement l’art de diriger ses acteurs, et ce en toutes circonstances… Il n’y a donc rien à redire sur leurs interprétations qui sont tout simplement efficaces et convaincantes sans pour autant crever l’écran. La musique est présente juste ce qu’il faut pour appuyer les moments dramatiques (et quel drame !) ou d’action même si elle ne reste pas vraiment inoubliable. Quant au reste, mis à part le montage cut qui sort réellement des sentiers battus, Romero ne fait pas preuve d’une très grande originalité dans le traitement formel de son œuvre engagée et « engageante » : tout comme pour La Nuit des Morts-Vivants, le cinéaste parvient à faire des merveilles sans en faire des tonnes au niveau esthétique. Simple et efficace, puissant mais subtil, comme la plupart de ses films…

    The Crazies est donc un chef-d’œuvre à part entière qu’il convient de considérer dans sa globalité, avec tous les messages que son créateur rebelle s’efforce de faire passer en touchant le plus violemment possible son public qui, bien loin de se douter de ce à quoi il a affaire, sortira de ce film les tripes complètement retournées. Un grand classique du genre à (re)découvrir pour apprécier de voir la niaque légendaire du génie George A. Romero s’exprimer sous sa forme la plus brute, ou encore juste pour le plaisir d’être entièrement transporté par une œuvre qui a maintenant presque quarante ans. Dernière chose, un remake éponyme réalisé par Breck Eisner a vu le jour en 2010… Sauf qu’il n’aurait jamais du.

    Par Emmanuelle Ignacchiti

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