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[Interview] Entretien avec Fede Alvarez, réalisateur du remake d’Evil Dead

La veille de l’avant-première du remake d’Evil Dead (lire notre critique) au Grand Rex, nous rencontrons Fede Alvarez. En plein marathon promo, le réalisateur Uruguayen, qui a eu la lourde tâche de succéder  à Sam Raimi derrière la caméra, nous parle de ce nouveau film et des rapports qu’il entretient avec l’original.

Films Horreur : Salut Fede, première question : avant de rencontrer Sam Raimi, étais tu fan du Evil Dead original et qu’est-ce qui t’a le plus plu dans ce premier film ?

Fede Alvarez : J’ai vu l’original quand j’étais un gosse, à douze ans. Avec mon frère ainé, nous avions vraiment envie de voir un film qui faisait peur et, après avoir discuté avec l’employé de notre vidéo club, ce dernier nous a presque donné la VHS d’Evil Dead sous le manteau. Je ne peux pas dire que j’ai vraiment « aimé » ce film la première fois que je l’ai vu, tant il m’a fait flipper. J’étais beaucoup trop jeune pour un film aussi terrifiant et dérangeant, cela sur plein de niveaux, et il m’a vraiment traumatisé au point que, pendant un temps j’ai essayé, de complètement l’oblitérer de ma mémoire. C’était aussi le premier film de possession que je voyais, je n’avais pas encore vu l’Exorciste, et ce sont vraiment pour moi les films potentiellement les plus terrifiants. Il te montre des êtres humains, auxquels tu t’attaches dans un premier temps, se transformer en monstres et attaquer les êtres qui leur sont normalement chers. C’est quand même l’une des idées les plus terrifiantes du cinéma d’horreur ! Tout ce que j’ai donc gardé pour le nouveau film vient donc probablement de ce que j’ai le plus aimé, voire plutôt détesté [rires] étant gamin. Ce qui m’a le plus foutu la trouille. Je me rappelle notamment des scènes de l’original où l’on pense que la copine d’Ash n’est plus possédée par le démon, elle a récupéré un visage et une voix normale, elle supplie Ash de se rapprocher, de l’aider à quitter la maison, et quand Ash se décide vraiment à baisser sa garde… Bam ! Elle redevient démon et tout part en sucette. A l’époque, j’étais tellement heureux et soulagé que la possession s’achève, « Merci, le cauchemar est fini ! », et puis ça repartait.

Films Horreur : D’ailleurs, dans ce nouveau film, vous jouez pas mal sur cette idée et l’attente qui en résulte.

Fede Alvarez : Oui, en même temps ça m’avait tellement marqué dans l’original…

Films Horreur : Et que penses-tu avoir apporté à la saga Evil Dead ?

Fede Alvarez : Je ne sais pas exactement, c’est dur à définir. J’imagine que notre film a permis de faire découvrir la saga à une nouvelle audience, plus jeune, et qui n’a jamais eu l’occasion de voir les originaux. Ces jeunes spectateurs, qui ont accroché sur l’univers, iront ensuite découvrir les premiers films. Le remake est quand même proche de l’original et de ses intentions dans le sens où il veut terrifier le spectateur et non le faire rire. Le deuxième épisode de la saga mettait plus l’accent sur l’humour alors que le troisième était complètement dingue, mixant l’univers Evil Dead à l’époque Médiévale. Mais mon film est quand même différent sur beaucoup de niveaux. Nous ne racontons plus l’histoire maintenant cliché “Spring Break” des cinq jeunes partant à la campagne pour faire la fête, baiser et fumer de la beuh. La mise en place de la narration n’a ici rien à voir avec ces lieux communs du genre. A ce titre, nous avons vraiment fait un Evil Dead différent. C’est pourquoi nous nous sommes d’ailleurs débarrassés du « The » dans le titre. Maintenant, c’est seulement Evil Dead.

Films Horreur : A tous les fans hardcore de l’original, les nostalgiques qui défoncent déjà ton film sans l’avoir vu, tu leur dirais ça ? Que ton approche est différente même si respectueuse des intentions du film de Raimi ?

Fede Alvarez : Oui, je leur dirais exactement la même chose que j’ai dite à mes potes. En Uruguay nous sommes une bande d’amis complètement tarés de films, et surtout ceux de genre. Nous sommes tous d’énormes fans des Evil Dead originaux. Et tu vois, même mes amis me disaient « Mais qu’est-ce que tu fais Fede ? Tu vas tuer Evil Dead ! ». En général, je les calmais rapidement en leur expliquant ce que nous voulions faire : revenir aux sources du genre et de l’horreur, sans CGI et retrouver le feeling original de ce type de films. Nous n’allions pas recréer un Ash avec un nouvel acteur, plus jeune, ce qui aurait été horrible. Tout ça, c’est ce que je voulais en tant que fan. Ces décisions prises en pré-production ont ensuite majoritairement contenté la fan-base du film original.

Films Horreur : Côté casting, Jane Levy (vue dans les séries Shameless et Suburgatory) s’attendait-elle à subir toutes ces sévices ? Elle n’était pas trop flippée par certains effets spéciaux et douches régulières d’hémoglobine ?

Fede Alvarez : [rire] Elle avait heureusement lu le scénario avant de débarquer sur le tournage. Mais je ne pense pas qu’elle s’attendait à un boulot aussi difficile. Elle avait probablement dû s’imaginer que pour certains plans nous allions recourir aux effets spéciaux numériques, mais non ! C’est probablement le tournage le plus physiquement difficile de sa carrière…

Films Horreur : Donc tu confirmes qu’il n’y a pas d’effet spécial numérique dans le film ? Il y a pourtant des plans vraiment bluffants dans cet Evil Dead…

Fede Alvarez : Oui, je pense qu’être exposé à de vrais éléments, pas toujours un fond bleu, est une bonne chose pour les acteurs. Cela leur permet de livrer de meilleures performances et de « moins faire semblant » si je peux dire. Pour revenir aux conditions de tournage : il faisait froid, ils étaient crevés, c’était un peu l’enfer pour eux tout comme pour leurs personnages… tout cela se ressent dans leurs performances et y apporte un plus. J’ai donc eu la chance de les torturer pendant trois mois mais je ne l’ai pas fait pour rien. C’est généralement quand les conditions ne sont pas confortables que les acteurs sortent vraiment leurs tripes pour un film.

Films Horreur : Côté scènes gores, on sent que tu t’es fait très plaisir. Certaines scènes font vraiment très mal. Tu t’étais fait un brainstorming avant l’écriture du scénario sur le thème des « trucs les plus douloureux à infliger au spectateur » ?

Fede Alvarez : Il y a d’abord quelque chose que je dois avouer, c’était il y a deux ans donc il y a prescription : en réalité, au moment où j’écrivais le scénario,  jamais je n’aurais pensé que le film se serait fait ! Il faut dire qu’il est coutume à Hollywood de voir des projets de ce type se monter puis se démonter aussi sec… Je me disais aussi que trouver des financeurs allait être d’autant plus difficile que le film original est « culte » au sens propre du terme, avec ses adorateurs, aussi fervents qu’en nombre limité. Nous l’avons donc écrit comme un bouquin, ce qui est plutôt une bonne chose au final : cela s’est fait sans se soucier d’un éventuel budget, d’un comité de censure ou d’un producteur qui allait refuser de nous laisser tourner telle ou telle scène. Je ne me suis ainsi jamais demandé comment nous allions pouvoir tourner certaines scènes car j’étais persuadé à 70% que ce film ne se ferait pas et donc cela nous a permis d’arriver à l’histoire la plus fun et terrifiante que nous pouvions imaginer. Par contre, arrivé en pré production, passé l’enthousiasme du « chouette ! Le film se fait ! », est arrivé rapidement le moment du « mais comment va-t-on pouvoir tourner cette idée ? ». Surtout que c’est à ce moment que nous avons décidé de ne pas utiliser de CGI tellement cela fait fake encore aujourd’hui dans les films d’horreur. Même ma mère arrive à les repérer et trouve que ça casse l’effet de réel ! Donc pas moyen d’utiliser ces trucs, place au live ! Et je pense que nous avons fait du beau boulot car, finalement, la brutalité du film vient surtout du fait que les effets paraissent réels.

Films Horreur : Y a-t-il des choses que vous avez finalement laissées tomber, parce que trop complexes à gérer sur un plateau ? Ou trop gores ?

Fede Alvarez : Trop gore ? Non, jamais ! Par contre, des choses finalement trop coûteuses à réaliser, peut-être quelques-unes, oui… Mais pour le gore, la MPAA (comité de censure US) nous a laissé repartir seulement avec une poignée de secondes en moins. Rien de grave. Sur une scène ultra-douloureuse, virer 5 plans n’atténue finalement pas grand-chose…

Films Horreur : J’ai vraiment aimé la séquence d’ouverture. Elle pose vraiment bien vos intentions de départ : faire quelque chose de différent, étendre un peu l’univers Evil Dead. Est-ce que c’est également la direction prise par la séquelle en cours d’écriture ?

Fede Alvarez : Pour revenir à cette séquence, elle pourrait même faire l’objet d’une préquelle. Comment ces gens se retrouvent-ils dans la cabane ? Pourquoi y laissent-ils le bouquin ? Nous avons effectivement déjà commencé à écrire la suite même si je ne sais pas encore si j’en serais le réalisateur. Il faut évidemment que je valide mes premières idées avec Sam (Raimi) mais normalement ce nouveau film devrait reprendre à la fin du premier et suivre le/les/la survivant(e)(s) (pour ne pas spoiler).

Films Horreur : Est-ce que vous allez rester dans la forêt ? Finir au Moyen Age comme l’Armée des Ténèbres ? Lâcher les démons dans la ville ?

Fede Alvarez : Qui sait ? Ce serait super fun… Enfin, je sais ce que je veux mais si je te le dis avant de l’avoir fait valider par Sam, il risque probablement de me virer pour toujours…

Films Horreur : Ton film est bien flippant. Quels sont les ingrédients pour arriver à terrifier un spectateur toujours un peu plus blasé de tout ?

Fede Alvarez : Je pense qu’en premier lieu, la tension et la peur tiennent surtout à l’écriture. Tout est dans l’histoire et dans son rythme, dans le fait de réussir à raconter une intrigue qui va maintenir l’intérêt du spectateur… Pour ce qui concerne ce film, même les mauvaises critiques admettent que l’histoire n’est pas chiante. Au moins, j’échappe au pire truc possible pour un réalisateur : ennuyer le spectateur. Et puis il y a aussi ce truc d’éduquer le spectateur grâce à l’histoire : il faut savoir le punir pour qu’il te respecte ! Le faire sortir de sa zone de confort pour qu’il puisse être accroché par l’intrigue. Sinon, le suspense ne marche pas. Ici, cela marche grâce à quelques petites idées et plans très douloureux (genre cette aiguille de seringue très mal utilisée !) ainsi que grâce à certaines séquences comme cette ouverture en forme de cahier d’intentions : le spectateur sait dès les premières minutes que la suite va être rude et pavée de moments douloureux. Que l’horreur sera très graphique. De même, un peu plus tard, une fois que la fille s’est découpée la lange avec un rasoir, tu sais que cette scène ne se répétera pas à l’identique mais que, par contre, tu risques de voir des scènes à l’intensité équivalente.

Films Horreur : Concernant ton boulot avec Sam Raimi, peux-tu me décrire un peu en quoi consistait votre collaboration ? T’a-t’il donné des conseils au début du projet ?

Fede Alvarez : Oui, avec du recul son conseil le plus important, en pré-production, a été de me dire un truc qui parait tout simple sur le moment mais finalement plein de bon sens : je devais réaliser le genre de film que j’adorerais voir au cinéma. Pas le film que j’imaginais pouvoir plaire à Sam Raimi ou aux jeunes spectateurs ou aux vieux fans du premier. Suivre mon instinct plutôt que présupposer les goûts et attentes d’un public. Dans le cinéma, et encore plus dans le genre horrifique, faire un film en pensant avoir tout compris au public sonne faux et préfabriqué. Un peu comme la plupart des films d’horreur sortis en salle ces dernières années et qui m’ont souvent beaucoup déçus…

Films Horreur : As-tu eu aussi le soutien de Bruce Campbell ?

Fede Alvarez : Oui ! Bruce est l’un des producteurs du film. Il était notamment très impliqué avec moi dans le casting où il s’est révélé très bon pour dire qui était potentiellement prêt pour un film Evil Dead. Beaucoup d’acteurs sont bons mais s’imaginent déjà tellement au top qu’ils ne mettent plus vraiment la main à la pâte, demandant une doublure là où il faudrait se jeter vraiment dans la boue et en chier un peu… Il a aussi été d’une grande aide pour tout ce qui relevait du sound design en fin de production.

Films Horreur : En tant que réalisateur, comptes-tu continuer dans les films d’horreur ?

Fede Alvarez : C’est sûr que j’en ferais d’autres, c’est tellement fun en tant que réalisateur. Mais pas maintenant car là j’essaye de monter un projet plus axé science-fiction, un genre que j’adore.

Interview par Alex B

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