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Cannibal Holocaust

Affiche du film "Cannibal Holocaust"

© 1980 F.D. Cinematografica − Tous droits réservés.

« Le film le plus controversé de l’histoire du cinéma… »

Rien n’est plus vrai. Interdit dans plus d’une soixantaine de pays à sa sortie en raison de l’extrême violence de ses images, Cannibal Holocaust reste connu pour avoir été le film le plus censuré de tous les temps. Filmée en caméra à l’épaule, la seconde partie du film se présente comme un documentaire sulfureux retraçant l’expédition de quatre jeunes journalistes au cœur d’une forêt amazonienne peuplée de tribus cannibales. Meurtres, tortures, viols, amputations, le résultat est, pour ainsi dire, extrêmement réaliste… Beaucoup trop réaliste au goût des autorités italiennes du début des années 80 d’ailleurs, qui accusèrent le réalisateur Ruggero Deodato d’avoir réellement tué des acteurs au cours du tournage de ce qui était alors considéré comme un authentique snuff movie. Rumeur totalement infondée bien sûr, bien qu’une demi-douzaine d’animaux aient effectivement été sacrifiés pour les besoins du film… Enfin, Cannibal Holocaust s’est vu flanqué d’un classement X, d’une interdiction aux moins de 16 ans et même aux moins de 18 ans dans la plupart des pays où il n’est autorisé que dans sa version lourdement censurée. Ici, c’est la version intégrale et inédite en France que j’analyserai, elle-même interdite aux moins de 18 ans. Préparez-vous à découvrir le film qui a traumatisé des générations entières de cinéphiles chevronnés…

Il est certain que Cannibal Holocaust ne fait pas dans la dentelle et ne se refuse aucune audace : après les vingt premières minutes d’introduction, nous voilà en compagnie du docteur Monroe, de son guide et des militaires chargés de l’accompagner dans son périple, confrontés à tous les dangers que recèle la terrible jungle amazonienne. Le film n’est de prime abord pas avare en images paradisiaques : faune et flore hautes en couleurs n’ont pas leur pareil pour nous charmer et nous amener à presque oublier que nous sommes sur le point d’assister à la représentation ultime de l’ultra violence au cinéma. Mais ces paysages idylliques sont bien vite supplantés par la terrible réalité, preuve en est l’abominable scène de punition d’adultère qui signe la toute première rencontre entre le monde civilisé et les atrocités des mœurs tribales, mais aussi la première confrontation du spectateur à l’horreur visuelle paroxysmique de Cannibal Holocaust. Cette scène, comme toutes les autres filmées de manière incroyablement réaliste, nous plonge tout à coup dans un autre monde, un monde de fureur archaïque dans lequel le corps humain n’est rien d’autre qu’un tas de barbaque destructible en un clin d’œil. L’idée est brute de décoffrage : un cannibale traine sa femme infidèle sur une plage déserte avant de la pénétrer sauvagement avec un silex de forme contondante, la laisse souffrir en paix quelques instants, avant de réitérer l’acte barbare avec une pierre agrémentée de piques mortelles. L’homme achève son sinistre rituel en fracassant le crâne de sa compagne agonisante à coup de ladite pierre customisée. Cette scène agit comme un choc sismique dans l’esprit du spectateur : à quoi diable est-il en train d’assister ? Comment un film a-t-il pu aller aussi loin en termes de violence graphique ? Mais cela n’est que le début, d’autres éléments plus sadiques et improbables encore sont sur le point de laisser une marque profonde et indélébile dans son esprit définitivement non préparé à de telles images.

Comme je l’ai annoncé précédemment, Cannibal Holocaust se compose de deux parties : la première relatant l’expédition de l’équipe du docteur Monroe pour retrouver la pellicule laissée par les journalistes portés disparus ; la seconde étant le visionnage à proprement parler de la pellicule en question. Pour renforcer le réalisme du film, Ruggero Deodato a pris soin de faire ajouter des effets vidéo visant à rendre la pellicule retrouvée crade et endommagée, afin de nous faire adhérer plus facilement encore à la véracité présumée des faits qui se déroulent sous nos yeux. C’est donc lors de la seconde partie que les choses se corsent : les situations violentes de sadisme éhonté se succèdent alors à vitesse grand V. Les scènes les plus marquantes sont sans nul doute celle où l’on nous donne à voir une femme appartenant à l’une des nombreuses tribus cannibales empalées sur un pieu vertical, lequel lui ressortant par la bouche ; ou encore celle de l’accouchement, durant laquelle un bébé est arraché de force du ventre de sa mère et immédiatement enseveli sous terre, tandis que sa mère, pieds et poings liés, est tuée à coups de pierre par une horde de femmes en furie. Ces scènes dérangent, certes, mais peut-être pas autant que celles mêlant allègrement horreur et pornographie. Deux scènes de viol collectif en particulier ont fait couler beaucoup d’encre de par la crudité extrême de leur représentation, ce qui nous permet de saisir pleinement toute l’horreur qu’implique le fait d’assister à cet acte monstrueux. La cruauté avec laquelle les auteurs du viol se livrent à leur forfait est au moins aussi choquante que l’acte en lui-même, filmé avec autant d’impartialité que possible – le côté documentaire du film annihilant par conséquence tout aspect racoleur. Fait dépaysant s’il en est, beaucoup d’acteurs ont accepté de jouer entièrement nus durant des séquences entières, et il faut bien avouer que voir autant de sexes découverts en un seul film d’horreur, et donc à visée non pornographique, demeure assez déstabilisant. En parlant de sexe, je ne peux que me sentir obligée de mentionner la scène d’émasculation de l’un des journalistes, vraiment impressionnante de… réalisme, oui, c’est le mot. Ces scènes sont le pivot de Cannibal Holocaust, ce qui constitue toute la « légende » qui l’entoure, mais ne sont néanmoins pas dénuées d’une certaine charge satirique à l’encontre des médias : le fait que ces horreurs aient pu être filmées supposent la recherche insatiable de sensationnalisme du journalisme, qui se trouve ici être la cible principale du réalisateur ; mais aussi l’abstraction totale de toute éthique, ainsi que le voyeurisme cruel et sans complexe d’un public soumis à une dangereuse banalisation de la violence par les médias. Malheureusement, cet aspect critique du film a presque été entièrement balayé par la violence du film lui-même, ne subsistent dans les esprits que les scènes-chocs dans lequel Cannibal Holocaust semble se complaire.

Il demeure délicat de parler du jeu des acteurs, vu que la plupart d’entre eux sont des membres de tribus amazoniennes se contentant d’être naturels – sauf pour les scènes de cannibalisme, du moins l’espère-t-on… Pour ce qui est des autres, le simple fait que le film ait pu être pris pour un snuff movie suffit à prouver la justesse de leurs interprétations respectives. En revanche, il semble très difficile de concevoir que les acteurs aient pu accepter de se livrer à des actes aussi barbares sur des animaux vivants. De quels actes s’agit-il ? De la décapitation et décortication d’une tortue de rivière, entre autres, qui finira cuite au feu de bois et mangée par l’équipe de journalistes dans la seconde partie du film. Cette scène, vraiment dégueulasse, aura largement de quoi faire hurler au scandale les défenseurs de la cause animale tant tout y est montré dans les moindres détails, jusqu’aux ultimes soubresauts nerveux de la pauvre bête qui n’a pourtant déjà plus ni sa tête ni ses viscères. Sans parler du singe qui se fait trancher le haut du crâne à la machette, ou du rat d’eau égorgé en moins de deux, et avec le sourire en plus, etc. Ces sacrifices d’animaux, bien que regrettables et foncièrement inutiles en soi, contribuent néanmoins à alimenter le sentiment de malaise intense qui parcourt le film et à renforcer le réalisme extrême voulu par Ruggero Deodato. Enfin, le final de Cannibal Holocaust, que l’on ne pouvait bien évidemment pas supposer optimiste, clôt brutalement le métrage à la manière d’un Projet Blair Witch ou d’un [Rec] – la caméra qui tombe à terre, le visage du cameraman mort en gros plan face à l’objectif -, réalisant plus d’une vingtaine d’années auparavant ce qui allait devenir l’un des principaux codes des films tournés en caméra subjective.

Choquant, sadique, immoral, gratuit, cruel, dégoûtant ; les adjectifs ne manquent pas aux détracteurs de Cannibal Holocaust… Néanmoins, on ne peut reprocher à cet ovni du cinéma d’horreur, qui à lui seul franchit toutes les limites de la décence imposées par les codes de la censure, d’interroger la notion de l’Irreprésentable. Jusqu’où peut-on aller dans la représentation cinématographique ? A sa façon, Cannibal Holocaust y répond avec justesse : très, très loin… Un film culte à ne pas mettre entre toutes les mains, mais qui vaut assurément la peine d’être vu, au moins une fois dans sa vie.

Par Emmanuelle Ignacchiti

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