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Les Frissons de l’angoisse

Affiche du film "Les Frissons de l'angoisse"

© 1975 Rizzoli Films − Tous droits réservés.

Marcus Daly, pianiste de son état, est un soir témoin du meurtre d’Helga Ulmann, conférencière télépathe reconnue. Présent sur le lieu du crime, il est rapidement suspecté par la police italienne d’avoir un lien avec cette sordide affaire. Accompagné de la jeune et jolie journaliste Gianna Brezzi, il décide alors de mener sa propre enquête pour faire éclater la vérité.

Les Frissons de l’Angoisse, cinquième long-métrage de l’ange de la mort italien Dario Argento (Suspiria, Le Syndrome de Stendhal, Le Sang Des Innocents), est  considéré de manière quasi-unanime comme le meilleur giallo jamais réalisé. Détenteur du prix du meilleur réalisateur lors du Festival international du film de Catalogne en 1976, le film a connu un tel succès à l’international depuis sa sortie en 1975 qu’aujourd’hui encore, un éminent maître de l’horreur tel que George A. Romero (La Nuit des Morts-Vivants, Martin, Diary Of The Dead) prévoirait d’en faire un remake version 3-D ! Mais quel est donc le secret des Frissons de l’Angoisse ?

Tout d’abord, une ambiance énigmatique typique du giallo, ici sublimée par le jeu des acteurs David Hemmings et Daria Nicolodi, la mère de l’actrice Asia Argento (xXx, Land Of The Dead, Le Livre de Jérémie). L’opacité de l’intrigue réussit à manipuler complètement le spectateur en lui faisant considérer successivement chacun des protagonistes comme des suspects potentiels. Du début du film jusqu’au twist final (difficilement prévisible), l’on n’a de cesse de remettre en cause chacun des éléments diégétiques qui nous sont donnés à voir pour espérer devancer Marcus Daly quant à la résolution de cette vague de meurtres tous plus mystérieux les uns que les autres.

En effet, le film se livre à un véritable jeu de pistes où chaque spectateur a son rôle de détective à tenir et doit faire preuve d’un sens de l’observation à toute épreuve. Car la narration, pointilleuse à souhait (tout comme Dario Argento, parait-il), témoigne que rien n’a été laissé au hasard : beaucoup d’éléments fondamentaux nous sont volontairement cachés car hors-champ (le nom du coupable présumé écrit sur les carreaux d’une salle de bain embuée ou sur un dessin d’enfant) et le peu de personnages qui en ont connaissance se font tous massacrer avant d’avoir pu divulguer leur découverte. Le réalisateur nous balade donc d’investigations ponctuées d’humour (les incessantes chamailleries entre Marcus et Gianna sont souvent drôles et touchantes) en déductions bancales compte tenu du peu d’indices qui nous sont fournis. Tous sont susceptibles d’être le meurtrier car tous bénéficient d’une personnalité particulièrement complexe propice à la suspicion : Carlo, l’ami pianiste de Marcus, est un homosexuel alcoolique aux tendances suicidaires et son partenaire un androgyne troublant d’ambiguïté sexuelle ; quant à Gianna, elle semble tirer sa détermination à être considérée comme l’égale d’un homme de quelque blessure secrète et refoulée…  Car c’est aussi cette profondeur scénaristique qui donne toute son ampleur aux Frissons de l’Angoisse : les personnages sont crédibles et réalistes parce que le réalisateur leur laisse le temps de se déployer au travers de dialogues secondaires qui sont néanmoins d’une importance capitale pour mener à bien l’identification spectatorielle.

Le film comporte aussi des scènes esthétiquement très belles, notamment le célèbre plan-séquence constitué d’inserts d’objets appartenant au tueur sur un fond sonore hypnotique signé les Goblin (Zombie, Suspiria, Phenomena), qui démontre une fois de plus l’immense talent de metteur en scène de Dario Argento. D’autres plans tout aussi magnifiques témoignent de l’exigence du réalisateur ; par exemple, le plan de demi-ensemble ou Marcus et Carlo, de chaque côté d’une statue gigantesque, discutent à distance du meurtre d’Helga Ulmann est absolument remarquable tant elle est soigneusement élaborée, quasiment au millimètre près, semble t-il.  En outre, le spectateur partage de manière récurrente la subjectivité de l’assassin dont on n’aperçoit qu’une ombre menaçante ou une main gantée de noir (celles d’Argento, confesse t-il dans une interview), concept apparemment cher au réalisateur que l’on retrouve également dans Le Sang des Innocents, réalisé en 2001.

Les scènes de meurtres sont quant à elles assez gores et à la limite du soutenable, Argento connaissant bien les « points sensibles » (dents cassées, œil énuclée, gorge tranchée) qui ont le don de crisper le spectateur réceptif à ce genre de détail. Désireux de tout montrer à l’écran, comme à son habitude, le réalisateur a du une fois de plus faire preuve de prouesses plastiques pour ses effets spéciaux, ce qui donne au final un résultat honnête pour un film de cette trempe. N’ayant pas peur de faire gicler le sang à outrance (d’où le titre original de l’œuvre, Profondo Rosso), Argento innove en mettant en scène des manières surprenantes (et dégueulasses) de donner la mort qui n’ont rien à envier à un Destination Finale (le meurtre dans la salle de bain, pour n’en citer qu’un).

Par ailleurs, la musique des Goblin demeure toujours efficace et s’accorde à merveille à l’ambiance du giallo version Argento. Les accords particuliers du groupe, un brin discordants voire même expérimentaux, renforcent cette atmosphère emplie de mystères inextricables déjà mise en avant par le biais du montage des images. Le réalisateur dit avoir voulu considérer la bande-son des Frissons de l’Angoisse « comme un personnage à part entière de l’histoire » en lui conférant le pouvoir de créer « un véritable impact sur l’image », ce qui explique les changements parfois brutaux, sans transition aucune, des différents thèmes du film.

Ainsi, Les Frissons de l’Angoisse réussit le pari de distiller un brouillard épais et lourd d’interrogations dans l’esprit du spectateur complètement pris dans la toile de l’intrigue tout en lui mettant plein la vue grâce à sa réalisation soignée et audacieuse. Le suspense est habilement maintenu jusqu’aux dernières minutes du film où révélations et rebondissements ont l’avantage d’agréablement surprendre. Un film que je conseille à tout amateur de giallo et même à quiconque souhaiterait découvrir le cinéma de Dario Argento.

Par Emmanuelle Ignacchiti

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