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L’Île du docteur Moreau

Affiche du film "L'Île du docteur Moreau"

© 1977 − Tous droits réservés.

Deuxième adaptation cinématographique du roman The Island Of Dr. Moreau de H.G Wells (La Guerre Des Mondes, L’Homme Invisible, La Machine A Explorer Le Temps), le film de Don Taylor est sans aucun doute la meilleure. Comparée à la version de 1933 réalisée par Erle C. Kenton ainsi qu’à celle de 1996 de John Frankenheimer, L’Ile du Docteur Moreau de 1977 tire son parti d’une mise en scène viscérale qui sonde les tréfonds de l’âme humaine sans tergiversation aucune pour en retirer un constat infiniment pessimiste.

En effet, la portée dramatique du film met notre éventuel penchant humaniste à rude épreuve. La confrontation entre une animalité corrompue par la main de l’homme et une humanité déchue par le vice et la cupidité nous ramène sans cesse à l’esprit que pour assouvir sa soif de toute-puissance, l’homme avec un grand H est capable des pires abominations. Ainsi, c’est avec révulsion que l’on découvre l’essence véritable des expériences du Dr Moreau, eugéniste forcené doublé d’un mégalomane qui se met en tête de défier les lois de la Nature en créant une nouvelle race d’êtres hybrides entièrement sous son contrôle. Sur un fond tragique, le film explore les dérives de la science lorsque celle-ci se retrouve entre les mains d’un esprit malade et perverti par la soif de pouvoir.

Totalement dépourvu d’émotions, le Dr Moreau est un personnage abject, plus monstrueux encore que les erreurs de la Nature qu’il façonne. Ce futur avatar du fascisme (l’histoire de L’Ile du Docteur Moreau se déroule au IXème siècle) a choisi de mettre de côté son éthique (en a-t-il jamais eu ?) au profit de son obsession malsaine qui, sous couvert de vouloir apporter sa pierre à l’édifice du progrès, lui permet surtout de se prendre pour Dieu en créant la vie et en condamnant à mort de pauvres créatures égarées entre leur nouvelle forme humanoïde et leurs instincts animaux.
La lobotomie qu’il leur fait subir (« Ne sommes-nous pas des hommes ? ») pour les contraindre à se comporter comme des humains est insoutenable tant elle témoigne de mépris pour la vie et de profonde inhumanité. Cette microsociété sous le pouvoir absolu d’un seul homme érigé au rang de dieu sévère et vengeur fait une fois de plus penser à nos dictatures actuelles et passées, dont l’eugénisme serait ici poussé à son paroxysme.

On ne peut que ressentir de la compassion pour le devenir de ces « choses » qui ne trouveront leur place ni du côté des animaux, ni de celui des humains, condamnés à errer à l’orée de deux espèces que tout oppose. L’insurrection des créatures, pressentie dès la première demi-heure du film, est tout simplement hallucinante : rien ne peut stopper la colère aveugle de ces êtres réduits au statut d’objet, manipulés tant génétiquement que psychologiquement et dont la prise de conscience que la Loi à laquelle ils se plient n’est qu’un ramassis de mensonges destiné à maîtriser leurs pulsions bestiales et les maintenir dans la soumission totale à leur créateur les poussera à transgresser la règle absolue en commettant l’irréparable. Hélas, une telle espèce, condamnée dès le départ à s’exterminer, ne peut bien évidemment pas avoir d’avenir ; c’est donc à la fois avec regret et soulagement que le spectateur observe la Nature reprendre ses droits.

La réalisation du film est quant à elle irréprochable : bande-son, photographie, décors et maquillages (de la même trempe que ceux de La Planète Des Singes de Franklin J. Schaffner) parviennent sans mal à nous faire adhérer à cette sordide histoire dont l’intemporalité évidente a de quoi effrayer. Certaines scènes (notamment celles avec les animaux) sont particulièrement audacieuses et doivent leur indéniable efficacité tant à l’ingéniosité scénaristique du roman de H.G Wells, à la vocation anticléricale assumée, qu’à la prouesse esthétique dont fait preuve cette adaptation inoubliable.

L’Ile du Dr Moreau est donc une œuvre fondamentalement dérangeante et novatrice, à voir avec son cœur et ses tripes, et qui donne matière à s’interroger sur le devenir de la condition humaine… Car, après tout, ne sommes-nous pas des hommes ?

Par Emmanuelle Ignacchiti

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