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Season of the Witch

Affiche du film "Season of the Witch"

© 1972 − Tous droits réservés.

Après le succès de son tout premier film et chef-d’œuvre ultime du cinéma horrifique Night Of The Living Dead (1968) et un drame réalisé trois ans plus tard passé relativement inaperçu, There’s Always Vanilla ; George A. Romero assure en 1972 le scénario, la réalisation et le montage de Season Of The Witch, drame fantastique à visée sociologique dénonçant les conséquences désastreuses de  l’enfermement moral vécu par une certaine classe bourgeoise engluée dans un quotidien souvent morne et placé sous le signe de la répétition.

A partir d’une base somme toute assez banale et même vécue par une grande partie de la population féminine mondiale (du moins dans les années 70), le créateur du zombie mangeur de chair introduit un élément fantastique qui va bouleverser le petit train-train monotone de cette femme désœuvrée dont nous connaissons même les rêves les plus intimes. Car c’est effectivement l’une des particularités de Season Of The Witch, le film contient presque autant de séquences oniriques que de séquences censées se dérouler dans la réalité fictive du personnage. D’ailleurs, Romero ne nous épargne rien en nous plongeant dans l’ambiance dès la séquence d’introduction : très troublante, rythmée par une bande-sonore des plus insolites(bruitages bizarres, thème musical lancinant et disharmonieux) et symboliquement très riche, elle met en scène une Joan laissée pour compte par son mari, par la vie elle-même, tantôt maintenue en laisse, tantôt enfermée dans une cage, esseulée mais obéissante. Autant d’éléments qui laissent libre à cours à l’interprétation du spectateur tout en lui fournissant des indices pertinents pour saisir pleinement l’enjeu de tout ce qui va s’ensuivre. Ces scènes de rêve, si elles peuvent au départ légèrement déstabiliser par le traitement esthétique qui leur est consacré (surtout les mouvements de caméra anarchiques et le fond sonore complètement dément), s’avèrent d’une importance capitale pour le bon déroulement de l’intrigue ingénieuse élaborée par Romero lui-même. Si l’on peut facilement se retrouver piégé par l’habileté narrative et stylistique dont fait preuve le cinéaste des morts-vivants et ainsi confondre le rêve avec la réalité, quelques indices permettent néanmoins de se situer dans cette temporalité arbitraire et distendue (les vêtements que porte Joan, la manière de filmer, la musique, etc.). Très efficaces et souvent même  assez oppressantes, les séquences oniriques donnent la tonalité de cette œuvre très esthétisée et envoûtante.

Comme pour The Crazies un plus tard, George A. Romero  fait bénéficier Season Of The Witch de son incroyable talent de monteur cut et lui confère ainsi un rythme très soutenu même si au final il ne se passe pas grand-chose de véritablement palpitant. Aussi, la coupe des plans est nette, tranchante et presque systématisée, les images se succèdent avec un dynamisme caractéristique des œuvres Romeriennes. C’est aussi ce paradoxe narration lente – montage nerveux qui contribue à produire la puissance d’impact de ce film qui a le don de susciter chez le spectateur un authentique sentiment d’empathie pour cette pauvre femme en pleine crise identitaire. Ce travail de découpage extrêmement minutieux atteint son apogée lors des séquences oniriques, où chaque plan est l’expression d’un symbole que l’on retrouvera de manière régulière dans chacun des rêves de Joan (la figurine du taureau ou encore le masque diabolique de son agresseur, par exemple). La photographie est elle aussi remarquablement soignée et parvient à créer une atmosphère sombre et angoissante, presque malsaine, notamment lorsque Joan s’essaye à la magie noire. De ce côté-là, le film réussit à parfaitement atteindre son but : l’atmosphère mystique de Season Of The Witch nous plonge quasi-instantanément dans l’univers de la sorcellerie, et ce de manière pour le moins très originale pour l’époque. On appréciera la mise en scène de rituels d’incantation ou de conjuration, pour le coup très théâtralisée, ainsi que les nombreux accessoires hétéroclites qu’utilise Joan (calices, dagues, bougies, philtres, encens, etc.).

La métamorphose de Joan s’avère elle aussi particulièrement convaincante car se fait de manière très progressive : en effet, il s’agit  davantage d’une totale transformation par petites touches subtiles que de bouleversements radicaux qui sautent aux yeux. Le sadisme du scénario de ce très cher George consiste  justement à nous faire admettre que plus Joan s’investit dans son nouvel hobby, qui aura pourtant sur sa famille des conséquences désastreuses, plus elle semble se retrouver en phase avec elle-même et à sa place au sein de la classe à laquelle elle appartient. Et Romero de s’exprimer par la bouche du personnage de Greg, jeune homme odieux mais à la logique implacable qui recommande à l’attention de Shirley, la meilleure amie de Joan : « Il faut juste qu’elle se lâche (…) C’est à cause de gens comme elle que ce pays va mal ». Effectivement, la morale de Season Of The Witch pourrait bien être la suivante : pour être heureux, il faut être soi-même, et pour être soi-même, il faut lâcher-prise. Si Joan avait eu le courage et la volonté d’agir sur sa propre existence au lieu de la subir en simple spectatrice, elle ne se serait peut-être jamais laissée submerger par une passion aussi destructrice. Mais face à cette énergie potentiellement viable, son mari la pousse à demeurer bien sagement dans sa prison dorée en lui répétant inlassablement : « Rendors-toi… ».

Avec Season Of The Witch, George A. Romero livre une critique à l’acide des mœurs de la petite bourgeoisie des années 70, en même temps qu’un drame psychologique qui a le pouvoir de toucher l’humanité qui subsiste encore en chacun de nous. En démontrant la déchéance inéluctable d’une femme qui cherche par tous les moyens à trouver à l’extérieur ce qu’elle ne pourrait obtenir qu’à l’intérieur d’elle-même, Romero met en avant le « Mal du siècle », cette lassitude blasée du quotidien qui touche une bonne partie de la population, ce besoin vital de rompre avec la monotonie par le biais de transgressions qui s’avèrent hélas bien souvent fatales. Une œuvre forte, tragique et ensorcelée qui délivre encore une fois un message bien pessimiste quant à la condition pitoyable que l’être humain s’est lui-même forgé…

Par Emmanuelle Ignacchiti

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