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Shutter Island

Affiche du film "Shutter Island"

© 2010 Paramount Pictures − Tous droits réservés.

En 1954, le Marshall Teddy Daniels et son coéquipier Chuck Aule sont envoyés sur l’île de Shutter Island pour enquêter dans un hôpital psychiatrique où sont internés de dangereux criminels. Ce qui s’avérait être une enquête de routine prend rapidement un tournant surprenant. Au fur et à mesure du déroulement de l’enquête, Teddy dévoile des vérités sur l’île de plus en plus choquantes et terrifiantes, et découvre qu’il existe certains endroits d’où on ne vous laisse jamais repartir…

Adaptation cinématographique du roman éponyme de Dennis Lehane, Shutter Island réunit de nouveau deux grands noms bien connus à Hollywood : Martin Scorsese, éminent réalisateur de Taxi Driver, Raging Bull ou encore Les Affranchis ; et Leonardo DiCaprio, avec qui Scorsese avait déjà collaboré sur Gangs Of New York, Aviator et Les Infiltrés. Exploitant à fond les codes du thriller psychologico-dramatique, Shutter Island est une expérience unique dont on ressort profondément bouleversé, un véritable traumatisme audiovisuel qui doit son intensité autant à sa mise en scène d’une efficacité implacable qu’à l’interprétation exceptionnelle de Leonardo DiCaprio qui livre ici l’une des meilleures performances de sa carrière d’acteur.

© 2010 Paramount Pictures − Tous droits réservés.

Les deux-tiers du film sont consacrés au déroulement de l’enquête rigoureusement menée par le Marshall Teddy Daniels (DiCaprio) et son nouveau coéquipier Chuck Aule (Mark Ruffalo), qui investissent les pavillons lugubres de l’hôpital psychiatrique d’Ashecliffe en vue de percer le secret de la disparition de l’une des patientes, une certaine Rachel Solando, qui semble s’être littéralement volatilisée. C’est donc avec un réel émerveillement que l’on se laisse transporter par l’intrigue tortueuse à souhait du Maître Scorsese qui tisse sa toile avec une virtuosité stylistique qui n’est désormais plus à démontrer. Tout est ici mis en œuvre pour conférer au film un suspense particulièrement riche en tension dramatique et ainsi pousser le mystère au maximum de ses potentialités. Chacun des personnages de l’histoire est donc détenteur d’une aura énigmatique au possible (en particulier le docteur Cawley, alias Ben Kingsley, tout simplement bluffant) tandis que se succèdent sur un rythme très soutenu des situations pour le moins ambiguës et de nombreux dialogues à l’opacité déconcertante. Pour lever le voile sur les sombres arcanes d’Ashecliffe, le Marshall Daniels devra sonder jusqu’aux tréfonds de son propre subconscient et découvrir une part de lui-même à laquelle il aurait préféré ne jamais devoir faire face…

[attention SPOILER!] En effet, dans Shutter Island, il s’agit avant tout d’explorer les démons intérieurs d’un être pensant ; le personnage principal étant dès le début du film hanté par la mort tragique de sa femme qu’il n’a malheureusement pas pu sauver. Rongé par la culpabilité, celui-ci n’a de cesse de la voir en rêves, sous des représentations hautement symboliques et remarquablement bien retranscrites à l’écran. L’espace onirique tient ainsi une place très importante au sein de l’intrigue, le spectateur étant confiné à la fois derrière les murs gris des cellules de l’hôpital ainsi qu’au plus profond de la psyché tourmentée d’un Teddy Daniels assailli de souvenirs cauchemardesques. [Fin du SPOILER!] Ce va-et-vient permanent entre rêve et réalité donne parfois l’impression d’assister à une histoire irréelle, d’ordre fantasmagorique ; effet accru par travail très subtil sur la photographie mais aussi par l’amplitude des mouvements de caméra qui ont tendance à nous perdre de par l’absence de repères spatio-temporels qu’ils suscitent. Le formidable dédale que constitue Ashecliffe s’apparente ainsi à un véritable labyrinthe mental au cœur duquel s’engouffre Daniels sans aucun fil d’Ariane pour l’empêcher de se perdre définitivement… Cette analogie se manifeste tout au long du film par l’intermédiaire de nombreux détails de mise en scène qui confèrent à Shutter Island sa force d’impact ainsi que l’impressionnante subtilité qui le caractérise.

Comme nous l’avons évoqué précédemment, la puissance dramatique du film doit beaucoup à l’interprétation grandiose de son acteur principal, Leonardo DiCaprio, dont les émotions extrêmement intenses se lisent sur son visage ravagé par la détresse comme dans un livre ouvert. Adoptant un jeu d’une ambivalence troublante, l’acteur semble littéralement « habité » par son personnage à l’âme torturée et parvient sans mal à nous faire ressentir de manière authentique le tourbillon d’affects qui le portera jusqu’aux limites sibyllines de la folie. De ce fait, Mark Ruffalo, volontairement mis en retrait pour des besoins narratifs et scénaristiques, semble quelque peu éclipsé par l’immense talent de son partenaire. Ben Kingsley, bien au contraire, honore le film de Scorsese de son inégalable prestance et affiche une fois de plus son flegme légendaire typiquement British. Personnage obscur aux intentions incertaines et à l’amabilité déroutante, le Dr Cawley est sans conteste l’un des personnages les plus insaisissables de l’histoire de Shutter Island. Jusqu’à la fin du film, celui-ci ne cessera de nous surprendre, autant par les agissements suspects qui lui sont prêtés par Daniels que par ses brusques changements d’attitude, passant sans transition aucune d’un état chaleureux à froid comme la glace. Vous l’aurez compris, tous les protagonistes de Shutter Island semblent dissimuler leur véritable nature derrière un masque brouillardeux d’apparences plus que trompeuses, jusqu’à ce que le jeu de dupes soit terminé et que les masques en question finissent par tomber…

Les décors du film sont également propices à instaurer un climat d’étrangeté qui n’aura de cesse de remettre en doute les pseudo-certitudes qu’aura acquises le spectateur au fil de l’intrigue. Outre la dimension particulièrement glauque que véhiculent les étroites cellules de l’hôpital d’Ashecliffe, supposant que de terribles évènements ont eu lieu derrière ces barreaux tétaniques, l’île de Shutter Islandse caractérise par la sensation omniprésente de danger imminent qu’inspire sa végétation très dense, synonyme de perdition. Escarpée de rochers mortels, soumise tantôt aux caprices des ouragans, tantôt aux remontées d’eau, l’île s’avère être un lieu moins sûr encore que ce sinistre hôpital pourtant peuplé des plus dangereux criminels du sol Américain et apparait à l’écran comme une menace à part entière. L’île de Shutter Island ressemble ainsi à un complexe infranchissable aux pouvoirs surnaturels qui signerait la condamnation immédiate et inéluctable du malheureux qui aurait eu l’insouciance de pénétrer dans son enceinte. L’enfermement spatial du Marshall, même relativement gérable compte tenu de l’espace dont il dispose (l’île toute entière), accuse cependant une teneur claustrophobique au moins aussi virulente que l’enfermement mental dans lequel les circonstances l’ont englué.

Shutter Island constitue donc un chef-d’œuvre éblouissant qui réussit à s’approprier les codes très spécifiques du thriller psychologique tout en s’en éloignant sensiblement pour surprendre là où l’on s’y attend le moins. Soyez prévenus, voici un film qui sait faire très mal (émotionnellement parlant) et que vous ne risquez pas d’oublier de si tôt… La faute à un dénouement final réellement perturbant qui s’inscrit au cœur d’un scénario original et parfaitement abouti, ainsi qu’à la présence envoûtante d’un DiCaprio au sommet de son art.

Par Emmanuelle Ignacchiti

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