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Preview #2 : les Yeux de Julia

Cécité Progressive

On trouve plusieurs ‡films, dans l’histoire du cinéma, centrés autour d’un personnage de femme aveugle, dont certains aussi emblématiques que SEUL DANS LA NUIT (Terence Young, 1967) et TERREUR AVEUGLE (Richard Fleischer, 1971). Mais peu d’entre eux décrivent le cheminement de l’héroïne vers la cécité, son glissement inéluctable vers les ténèbres et le sentiment d’impuissance qui l’accompagne. LES YEUX DE JULIA n’est pas un ‡ film sur une femme aveugle, mais sur une femme qui est en train de le devenir, et il décrit ce processus de son point de vue psychologique et émotionnel. Morales l’explique ainsi : “Julia sera bientôt aveugle… Mais avant de perdre totalement la vue, elle va voir deux choses très importantes, qu’elle n’a jamais vues auparavant : l’une est ce qu’il y a de plus beau au monde, et l’autre, de plus terrible…” Examinant de plus près l’idée de perte sur laquelle le‡ film est construit, le réalisateur ajoute : “Le sentiment de perte est toujours douloureux. Il peut s’agir de la disparition de choses acquises ou auxquelles on est parvenu, mais aussi de personnes ou de sentiments. Cependant la perte s’accompagne toujours d’un gain, et c’est là que se trouve la limite de la sou¢ rance. Le fait de perdre la vue n’a rien de plaisant mais ce n’est pas la ‚ fin du monde. Il s’agit d’une transformation, et toute transformation est un processus diffcile mais qui peut également s’avérer incroyablement positif s’il est envisagé comme une évolution. La cécité en soi est moins importante que l’attitude qu’on adopte face à ce changement. C’est ce parcours que doit accomplir Julia.” Les choses ne s’arrêtent pas là. LES YEUX DE JULIA continue à jouer avec ce que voit le spectateur, de manière parfois évidente, parfois plus subtile. Il ne s’agit pas seulement de l’utilisation de la caméra subjective, mais d’un pacte visuel conclu tacitement avec le public et dont le réalisateur a infusé toute la mise en scène, dans le but de le “rendre aveugle” sans avoir à recourir au noir total.
“J’étais obsédé par l’idée d’aveugler, d’une certaine façon, le spectateur, a‚fin qu’il puisse partager l’expérience sensorielle de Julia,” explique Morales. “Et je pense que nous y sommes parvenus. Je pense pouvoir déclarer que, à certains moments du ‚ film, les spectateurs seront aveugles, cinématographiquement parlant.”
Les critiques et les fans de cinéma seront conscients du jeu pervers qui est mis en oeuvre dans une certaine partie du film, un jeu passionnément cinématique et que nous ne pouvons naturellement pas révéler ici a‡fin de préserver au maximum son efficacité visuelle. Pour comprendre les differentes étapes de cécité dont Julia est victime, Belén Rueda s’est entretenue avec des conseillers de l’Organisation Nationale des Aveugles Espagnols (ONCE). Quatre paires de lunettes ont également été créées pour reproduire l’évolution progressive du handicap dont souffre son personnage, et la comédienne chaussait la paire correspondante avant chaque prise, a‡fin d’être à tout moment consciente des carences visuelles de Julia et de pouvoir appréhender précisément sa relation au monde qui l’entoure. Cette obsession de la cécité, et de l’assaut visuel du ‡ lm sur le public, est à l’origine d’une des anecdotes les plus terrifiantes du tournage, que le réalisateur relate encore avec e roi : “À un moment dans le ‚ film, quelqu’un menace Julia en pointant un couteau en direction de ses yeux et en l’approchant très près de sa pupille.
Il s’agit d’un très gros plan et, à cette distance, nous ne pouvions pas utiliser un faux. Le plan requérait un véritable poignard. J’avais donc l’intention de recourir au trucage en fi‚lmant les yeux de Belén et le couteau séparément, puis en les combinant à l’aide du numérique, a‚fin d’obtenir l’effet  escompté. Au moment de tourner, Belén et le comédien qui joue son agresseur avaient suffi’semment répété pour se sentir parfaitement à l’aise, et ils proposèrent de le faire “pour de vrai”. J’y étais farouchement opposé. La recomposition numérique fonctionnerait parfaitement et tous risques étaient inutiles. Mais ils insistèrent, et ils semblaient si sûrs d’eux qu’au ‚ final, j’ai accepté. Je leur ai dit : ‘D’accord, mais une fois seulement et soyez très prudents’, pensant qu’ils plaisantaient et que le bon sens allait l’emporter. Quand nous avons dit ‘moteur’, le couteau est venu si près de l’oeil de Belén que le sang de toute l’assemblée s’est glacé. À la ‚ fin de la prise, tout le monde était interdit, et horrifi‚é. Tous, sauf les deux acteurs qui ont déboulé en souriant pour voir ce que ça avait donné. Quand ils ont vu le plan, ils sont devenus livides. Le résultat est superbe mais j’ai fait des cauchemars pendant une semaine en pensant à ce qui aurait pu arriver si Belén avait éternué à ce ‚ fichu moment.”
Esthétique et Atmosphère

L’esthétique du ‡ film peut surprendre par son choix assumé de s’éloigner du style gothique tout en revendiquant un aspect lugubre, dans les standards des thrillers classiques. «Ce fut une décision artistique sciemment ré§ échie et je suis parfaitement satisfait du résultat», déclare le réalisateur. «La facilité aurait été de lui donner une aura gothique. Mais nous voulions essayer quelque chose de plus singulier, de plus déroutant. En réalité, les in§ uences esthétiques du ‚ lm viennent plus des jeux vidéo – dont je suis fan – que d’autres ‚ films. Et j’ai voulu en imprégner toute la direction artistique.»
Balter Gallart et son équipe durent se creuser les méninges pour transposer l’esthétique des jeux vidéo américains en décors de cinéma européens. Le résultat est, selon Balter : «une atmosphère incroyablement dépourvue d’influences d’Europe Centrale. On est loin de l’esthétique gothique, mais ça donne au ‚ lm l’atmosphère idéale pour raconter une histoire si effrayante et ça rend compte à merveille d’un monde – comme le répétait constamment Guillem – où il n’y a plus rien de beau à voir.» L’équipe a eu la chance incroyable de trouver, in extremis, la propriété où «habite» Sara, dans la ville de Cantonigrós : il s’agit d’une première tentative par un Catalan, qui avait vécu une partie de sa vie en Belgique, de construire un quartier résidentiel en Espagne. Il fut utilisé au siècle dernier comme lieu d’hébergement pour les lépreux et a ‡ finalement été converti en un ensemble de maisons semi-individuelles. «Son style était parfaitement adapté à ce que nous recherchions», déclare Gallart. «D’autant plus que, derrière les maisons, se trouve un ensemble de terrains aménagés, privés et publics, qui relient les différents secteurs entre eux et que nous avons utilisé pour créer un dédale de terrasses dans lequel Julia doit suivre une corde mystérieuse ou courir chercher refuge, la nuit, sous une pluie battante.»
L’École Industrielle de Tarragona fut un autre décor important dans l’application des rigoureux critères esthétiques. Elle est faite d’une succession de bâtiments et d’espaces monumentaux, inspirés par l’esthétique franquiste des années 70, qui n’ont jamais été rénovés, et elle offrait plusieurs décors idéaux pour le ‡ film, comme les extérieurs du Centre Baumann, une version diabolique de ONCE. Mais les entrailles de la bête recelaient davantage encore de richesses, dont le réseau de tunnels au coeur duquel Julia poursuit une ombre énigmatique. L’excitation liée à la découverte de ce labyrinthe, jumelée à la fascination du réalisateur pour les espaces clos, se sont soldées par quelques pages de scénario arrachées, alors que le tournage avait déjà commencé depuis plusieurs semaines, et par la réécriture des dernières scènes du premier acte, afin d’intégrer l’action à ce nouveau décors si propice. Le tout en tenant compte du fait que «le plus étroit de ces tunnels était un
cauchemar logistique pour l’équipe», comme l’explique Morales. «Le dernier couloir était si étroit qu’il était impossible de s’y croiser. Nous devions donc y pénétrer l’un après l’autre, en respectant un ordre scrupuleux, comme pour une partie de Tetris. Une seule erreur stratégique et il fallait recommencer à zéro.»
Le tournage en studio a ensuite duré sept semaines, à Terrassa. Balter et son équipe ont créé plus d’une douzaine de décors différents, certains avec plafond, à mesure que la production avançait. Deux plateaux simultanés ont été nécessaires pour répondre aux besoins de construction et de tournage.
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