Entretien avec Thierry Poiraud, réalisateur du film Alone

Entretien avec Thierry Poiraud, réalisateur du film Alone

A l’occasion de la sortie du très beau film Alone (don’t grow up), Prix du Public au PIFFF 2015, en DVD et Blu-Ray le vendredi 8 avril (le film est également disponible sur les plateformes de téléchargement depuis le vendredi 1er avril), nous avons rencontré son auteur Thierry Poiraud. Nous avons eu le plaisir d’échanger avec lui, un matin, sur son dernier opus, son travail et ses projets. Nous en avons profité pour recueillir son avis éclairé concernant l’état du cinéma de genre, aujourd’hui en France.

Films-horreur : Chez Films-horreur.com, nous avons adoré Alone (critique disponible ici), que nous avons perçu comme un survival tragique. Et un heureux mélange des genres. La deuxième partie du film marque une rupture nette et emmène le film vers quelque chose de plus contemplatif…

Thierry POIRAUD : Cette rupture était voulue, la deuxième partie est comme une parenthèse enchantée, elle évoque de façon expressionniste la vie amoureuse des deux héros : l’ambiance est résolument cotonneuse, éthérée, elle incarne la réalité des deux adolescents.

La rupture était plus douce dans le scénario, mais le manque de moyens n’a pas permis de filmer tout ce qui était prévu, ce qui a rendu plus abrupt le changement de ton. Les émotions duelles exprimées dans le film, l’amour rattrapé par la réalité, peut être perturbant pour le spectateur. L’une de mes références pour Alone était La nuit du chasseur (Charles LAUGHTON, 1955), qui est un conte, le récit d’un voyage initiatique merveilleux et effrayant. Alone oscille entre voyage initiatique et codes classiques du film dit « de genre », plus noir et violent.

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F-H : Pourquoi le choix de la contamination ?

T.P : Il s’agit d’une fable, d’une parabole, l’infection est prétexte  à un questionnement « philosophique », du moins existentiel. L’infection ici a ceci de particulier qu’elle est psychologique. En fait, le graphisme des films de genre permet de travailler la psychologie et les sentiments des personnages d’une façon expressionniste. Pour moi, la création d’atmosphères est très importante. La terminologie « film de genre » est aujourd’hui galvaudée en France, alors qu’en fait, tout est genre, la comédie aussi est un genre. C’est la connotation fantastique, horreur qui peut être péjorative, comme si le fantastique et l’horreur étaient forcément des séries B.

Goal of the dead (dont Thierry POIRAUD a réalisé la 2ème partie, 2014) est une comédie horrifique ainsi que, en toute humilité, un hommage aux petits films du passé, mélangeant la comédie, le conte et l’horreur, comme Gremlins (Joe DANTE, 1984), par exemple. Il ne s’agit en fait pas d’un film de zombies mais le propos collait au genre zombies. Il est d’ailleurs plus facile de sortir une comédie horrifique en France qu’un film plus sombre comme Alone.

 

F-H : Justement, pourquoi un film sombre comme Alone est-il plus compliqué à sortir selon toi ? On peut effectivement constater qu’en France actuellement, le fantastique et l’horreur sont peu suivis…

T.P : L’explication est sans doute culturelle, il existe une grande rationalité dans notre tradition culturelle française qui a du mal avec le genre fantastique. J’ai souvent rencontré des difficultés avec ça, les producteurs veulent toujours donner une explication à tout de peur de perdre le spectateur. Il est très compliqué de sortir un film de fantômes par exemple. J’aimerais d’ailleurs écrire et réaliser un vrai film de fantômes. Ce n’est pas le cas dans d’autres pays comme l’Espagne. Miser sur un gros casting est le seul moyen de réussir à bien produire un vrai film fantastique.

 

F-H : Au-delà des questions de production, d’où vient ton goût manifeste pour le mélange des genres, si l’on en croit ta filmographie (Goal of the dead, comédie horrifique, et Atomik Circus, comédie d’aventures et de science-fiction) ?

T.P : Sûrement beaucoup d’influences cinématographiques très diverses qui ont du être digérées et ressortent spontanément. Et puis le mélange permet d’ouvrir et de raconter des histoires autres, les genres constituent une base pour raconter des histoires. Mais j’aimerais bien réaliser un film plus « stable » stylistiquement, je cherche encore à m’améliorer !

 

F-H : De nombreux films français contemporains misent sur le mélange des genres et utilisent aussi les ruptures de ton comme Martyrs (Pascal LAUGIER, 2008) ou Aux yeux des vivants (Julien MAURY et Alexandre BUSTILLO, 2014)

T.P : Peut-être que ce sont des « erreurs », dans le sens que parfois on n’assume pas d’aller jusqu’au bout du genre fantastique. Le genre fantastique est un postulat de départ, j’aimerais bien dans un futur film partir de ce postulat et l’amener au bout pour raconter une histoire. Je pense à It Follows (2014) – je suis le réalisateur David Robert MITCHELL depuis longtemps – qui est immédiatement fantastique et déroule ensuite la ficelle. A ce propos l’adaptation de la BD Black Hole de Charles BURNS lui avait été proposé, mais l’adaptation semble très compliquée à faire.

 

F-H : Le mélange des genres est peut-être aussi une façon d’expérimenter pour renouveler le genre fantastique et horreur ?

T.P : Oui et il est aussi lié aux petits budgets, j’ai moi-même été confronté à ce problème. J’aime les films d’aventure et je voulais de l’épique pour Alone, une grosse partie du budget a donc été consacrée à cet aspect-là, notamment dans les décors. Le film devait être tourné au Canada, j’avais à l’esprit cette ambiance-là, mais en fait, on a tourné aux Canaries, ce dont on n’a pas du tout l’impression, car la lumière est froide, l’ambiance brumeuse, une impression de vastes forêts… Très loin des paysages plutôt désertiques des Canaries ! J’ai souhaité rester sur mon idée de départ du Canada sous la neige, dans la brume… Il fallait de la rudesse, de l’âpreté dans le climat, cet environnement correspond à la rudesse du voyage. Nous avions avec le chef opérateur Mathias BOUCARD une volonté de radicaliser la froideur et la rudesse de l’environnement, nous avons effectué un gros travail sur les repérages, le cadre, la lumière pour transformer l’atmosphère des Canaries.

 

F-H : le titre original, Don’t grow up a été modifié pour la France. Pourquoi ce changement de titre ?

T.P : Alone est plus évocateur en France, ce mot est presque un anglicisme chez nous, mais pour moi, dans dans mon cœur, le titre est Don’t grow up. Il s’agit d’un choix marketing, l’axe privilégié était d’attirer aussi un public plus jeune, pour compenser l’aspect « auteur » et poétique du film qui peut rebuter certains publics, il y a une question financière évidemment. L’affiche choisie met en avant le côté aventures, elle peut évoquer des films comme Le Labyrinthe (Wes BALL, 2014) ou Divergente (Neil BURGER, 2014). Moi, je pensais à une affiche évoquant plutôt visuellement le côté « enfants perdus au milieu de nulle part ». Par contre il n’y a eu aucune modification à l’intérieur du film, génériques compris.

 

F-H : Le film a été pensé pour le cinéma, pour l’instant il sort en VOD et DVD, n’est-ce pas trop dur ?

T.P : Alone était évidemment pensé pour le cinéma à tous niveaux (le film a notamment été tourné en scope). Il n’y a pas de sortie salles prévue pour l’instant en France, c’est un choix délibéré du distributeur qui a misé sur la visibilité. C’est courageux. Nous aurions eu peu de copies salles pour ce film, il aurait été perdu dans la masse des sorties plus médiatisées. Le budget a été entièrement dédié à la communication, notamment la présence d’affiches 4×3 dans le métro parisien pour la sortie VOD et DVD. Alone a également bénéficié de projections dans les festivals (entre autres, le PIFFF l’an dernier) et de plusieurs projections en salles, à Paris et en Province.

En fait, il manque des lieux dédiés au film de genre, ce serait bien que nous réalisateurs nous organisions pour créer un endroit. Je crois au retour de la fréquentation des salles de cinéma, malgré la tendance VOD. Un lieu polyvalent, avec des concerts, un resto, une librairie, des soirées… en plus de la salle de cinéma ! Les gens ont peur, pensent que les jeunes sont énervés dans les salles mais le film de genre a un côté festif et ludique qui les attire.

 

F-H : Tu as fait les Beaux-Arts, tu viens de la pub… Comment utilises-tu ce parcours en tant que réalisateur ?

T.P : j’ai écrit et réalisé Atomik Circus avec mon frère, Didier, qui fait aussi de la sculpture, des expos, moi je pratique et fais des bouquins de photo, on aime l’art, mélanger les choses et expérimenter. Le travail avec la scénariste Marie GAREL WEISS (scénariste d’Alone) est un peu différent, il y a d’autres enjeux à expérimenter. Je conçois le travail avec elle comme un collage, qui se fait en échangeant nos idées, nos images mentales, l’univers se construit petit à petit. Puis Marie écrit. C’est comme si je m’allongeais chez un psy et elle me raconte une histoire, puis les images viennent. Je suis incapable de réaliser un film si je n’ai pas d’images mentales à la lecture d’un scénario.

 

F-H : Dans Alone, tu évoques le monde adolescent. Les premières séquences évoquent Kids (Larry CLARK, 1995), elles montrent bien l’ambivalence des rapports adolescents, la violence et l’insouciance qui se côtoient.

T.P : Oui, même si Kids se passe à New-York, donc c’est encore différent, mais la thématique des ados est intéressante, ça se passe comme chez les adultes mais en plus libéré, notamment dans la violence et l’insouciance, c’est très intéressant d’observer ce qui se passe dans un groupe d’ados, les enjeux, les positionnements de chacun… La thématique, en fond, est le rapport aux parents. La scène de la caravane est une scène chargée car contient beaucoup d’enjeux du film, notamment la dimension fatale mais aussi amoureuse, la fin est apaisée malgré tout.

 

F-H : Thierry, que peut-on te souhaiter, à toi et à Alone ?

T.P : Je souhaite bien sûr qu’Alone soit vu le plus possible, j’ai déjà eu l’occasion bien sûr d’échanger avec le public, d’ouvrir le débat et je suis impatient de voir, comment les gens vont en parler, comment il va continuer à exister.

Thierry POIRAUD, merci beaucoup !

Entretien réalisé par Benjamin G. et Marie T.

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