Rencontre avec Bong Joon-Ho au Festival Lumière 2019

Rencontre avec Bong Joon-Ho au Festival Lumière 2019

Réalisateur montant du cinéma coréen, Bong Joon-Ho en est déjà à son septième long-métrage dont son fameux « The Host » en 2003 qui lui apporte une reconnaissance mondiale. La portée de ce film lui permet d’entreprendre des productions internationales comme « Snowpiercer » ou « Okja » (disponible sur Netflix). Cette année Bong Joon-Ho est partout, son film « Parasite » séduit le monde entier et décroche une palme d’or amplement méritée, acclamée à l’unanimité par le jury dirigé par Iñarittu.

La carrière de ce réalisateur a commencé dans un environnement mouvementé : ses opinions politiques lui valent d’être blacklisté par le gouvernement Coréen perdant ainsi la possibilité d’être subventionné. Malgré tout, Bong Joon-Ho réussi à exporter son cinéma et à attirer dans les salles et festivals un public jeune, sensible à ses créations.

C’est dans un petit théâtre Lyonnais que nous rencontrons cet artiste, interviewé par le prestigieux Bertrand Tavernier dans le cadre du festival Lumière. L’ambiance est détendue, les deux hommes échangent comme des amis de longue date liés par l’amour du cinéma.

Les premiers échanges portent sur son film « Memories of Murder » qui relate de la véritable histoire de plusieurs meurtres des années 80 dont le tueur a justement̀ été arrêté il y a environ un mois. Pour ce film, Bong explique que sa réalisation vient d’une pression qu’il ressentait face à cette histoire ; comme s’il était de son devoir de mettre en image ce récit palpitant. L’arrestation du criminel a éveillé des sentiments très complexes en lui car il a abordé son film en tant qu’affaire non résolue entourée de mystère. Il rêvait de rencontrer ce fameux tueur pour compléter son œuvre, il avait à l’époque fait de nombreuses recherches chez les connaissances, les policiers, les familles de victimes pour inventer ce personnage qui devait être créé de toute pièce et qui aujourd’hui est sorti de l’inconnu. En aucune façon il ne changera la fin de « Memories of Murder », il l’a construit comme une archive, un compte rendu de l’époque et il restera ainsi. Se décrivant comme très lunatique dans sa façon de travailler, il explique ne pas concevoir un film entier dans une ambiance homogène, c’est justement ce qui fait l’audace de ce « Memories of Murder ». Entre comédie noire et thriller horrifique, Bong explique que c’est un bon reflet de la réalité de cette affaire, notamment l’impuissance des autorités de l’époque dans cette affaire.

On retrouve cette vision satirique des autorités dans « The Host ». Le combat entre le père prêt à tout pour récupérer sa fille face aux policiers le jugeant fou permet d’apporter plus de réalisme à ce monstre. Manquant de budget, très peu de plans du monstre ont été tournés, il a donc dû faire vivre ce monstre à travers l’évolution du personnage du père. Son but était de se démarquer des autres films de monstre, et l’importance donnée à des objets du quotidien (notamment le téléphone qui va rythmer tout le film) permet de souligner cette démarcation. Tavernier parle d’une ressemblance entre « The Host » et « King Kong », Bong réplique en expliquant que pour lui un monstre doit susciter la fascination et que comme pour Kong, c’est cette ambivalence entre la peur et l’attrait qui définit le monstre. Il a donc créé un monstre inspirant la pitié, légèrement boiteux avec une histoire très touchante, Bong raconte amusé qu’il s’est inspiré de l’acteur Steve Buscemi pour animer cette créature, plusieurs photos de l’acteur durant le tournage étaient distribuées.

De la même façon que « King Kong », Bong Joon-Ho a conçu « Okja » comme une histoire romantique entre l’humain et l’animal. Il parle de cette œuvre comme son premier film d’amour. Dans tous ses films mais particulièrement dans « Okja », l’animal incarne la positivité, un parti pris pour les animaux important pour lui dans sa création. Il décrit « Okja » comme un tournage éprouvant, filmé sur deux continents avec des acteurs internationaux, plus de 300 plans etc. Et c’est pourquoi il a adoré enchaîner avec Parasite qu’il qualifie de vision « microscopique », filmer seulement deux familles dans deux maisons en Corée. C’est justement ces contrastes qui marquent sa filmographie ; chaque film vient en réaction face au précédent. Une dualité qu’il ne qualifie pas d’intentionnelle mais qui découle logiquement de son caractère changeant et de son esprit vagabond.

Tavernier questionne ensuite le réalisateur sur « Barking Do »g, son premier film. Bong demande en riant qu’on oublie ce film, un peu honteux de son œuvre, il explique qu’il contient beaucoup de traces personnelles, qu’il s’agit d’un film très intime (il a d’ailleurs habité lui-même dans l’immeuble du film !). On retrouve également de nombreux liens entre ce premier long-métrage et « Parasite » primé cette année à Cannes.

Bong Joon-Ho parle de « Parasite » avec beaucoup d’humilité, il dit ne pas être confiant de son talent et que beaucoup ne croyaient pas en ce film, ils étaient très inquiets et espéraient seulement rentrer dans leurs frais. Il a beaucoup de mal à s’expliquer un tel succès et s’est rendu compte au travers des projections que son film avait une portée universelle. Il trouvait Parasite trop ancré dans la culture coréenne, il a donc été très surpris de constater des réactions semblables dans tous les pays diffusant son œuvre. Pour lui cette compréhension universelle est due au fait qu’actuellement nous vivons tous dans le grand pays qu’est le capitalisme. Cette satire sociétale, le rapport à l’argent et les clivages sociaux sont des thèmes récurrents dans ses films. Pourtant Bong ne souhaite pas transmettre de messages politiques haut et fort mais que sa fascination pour les relations familiales et humaines l’amène forcément à aborder ces thèmes qui sont inévitables. Cette façon de voir l’individu et la société comme un tout est selon lui typiquement Coréenne ; on retrouve cela dans The Host, la culpabilité du père prend le dessus sur la culpabilité de la société, comme si les attaques du monstre étaient autant sous la responsabilité du gouvernement que sous celle du père cherchant sa fille. Cette vision culturelle ainsi que les critiques sociétales n’ont pas pour but de choquer ou attirer le public mais répondent à un besoin égoïste de satisfaire ses propres désirs. En effet, tous ses films naissent de ses envies et il ne cherche aucunement à satisfaire le public, ce qui déplaît fortement aux studios de production. Malgré cet “égoïsme artistique”, ses films plaisent, rapportent et gagnent de prestigieux prix.

En conclusion, on demande à Bong Joon-Ho d’expliquer le titre de son dernier film « Parasite » ; ce à quoi il répond :

« Le Parasite, c’est moi et j’espère que ce film sera un Parasite pour vous »

Par Joanny Combey

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