Entretien avec Benjamin Rocher et Yannick Dahan

Entretien avec Benjamin Rocher et Yannick Dahan

Comment est né ce projet ?

Yannick Dahan : C’est en travaillant sur le magazine Opération Frisson, en parlant de jeunes réalisateurs, en voyant des journalistes passer derrière la camera, et surtout en rencontrant les frères Rocher, que le fantasme s’est petit à petit transformé en réalité. Avec Benjamin Rocher, avec qui je travaille depuis longtemps, on souhaitait monter un projet de film fantastique qu’on n’ait pas encore vu dans le cinéma de genre français. Je lui ai reparlé d’une idée que j’avais eue il y a quelques années : partir d’un genre puis glisser vers un autre, comme l’avait fait Une nuit en enfer, mais en le traitant sérieusement. Du coup, on s’est dit qu’on allait mixer le polar urbain seventies et le film de zombie.

Benjamin Rocher : J’ai toujours eu envie de raconter des histoires de façon visuelle. Avant de savoir écrire, quand j’étais gamin, j’ai construit un théâtre d’ombres chinoises pour faire des représentations aux copains. Après avoir essayé de faire de la BD, des petits films d’animation rudimentaires, j’ai réalisé mon premier court métrage en 3D en 1997. En 2000, j’en ai réalisé un deuxième, en mélangeant prises de vue réelles et images de synthèse. L’envie a donc toujours été là, même si la chance de pouvoir la concrétiser est dépendante d’un nombre hallucinant de facteurs.

Vous n’aviez pas peur en vous attaquant à ce genre-là ?

B.R. : Si on avait été un peu lucides, on ne l’aurait jamais fait ! Mais ce qui nous caractérise, c’est une sorte d’inconscience et une volonté de foncer quelles que soient les difficultés.

Y.D. : On avait d’autant plus peur que c’était un premier film pour les réalisateurs, le producteur, le monteur et la majorité de l’équipe technique. On a porté ce projet à bout de bras face à tous ceux qui nous disaient que ce qu’on s’apprêtait à faire était tout simplement impossible. Ceci dit, on ne mesurait pas la complexité de réaliser un film d’action avec des zombies pour un budget assez serré.

B.R. : En même temps, quand on s’est attelés au scénario, des réalisateurs, même européens, prenaient des libertés par rapport au genre avec des films comme L’armée des morts, 28 jours ou 28 semaines plus tard. Du coup, cela nous a un peu libéré de l’inévitable comparaison à Romero…

Comment s’est passée l’écriture ?

Y.D. : Tout était très écrit. Cela vient du fait qu’on voulait marquer une rupture avec le cinéma de genre contemporain, en retrouvant la bonhomie et le côté populaire des films français des années 50 et 60. A cet égard, le personnage de René incarne une sorte de passage de témoin entre le vieux franchouillard avec sa gouaille et les jeunes des cités : bien entendu, ils ne se comprennent pas. Mais le conflit verbal entre eux était très écrit.

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Les personnages sont assez complexes.

Y.D. : On avait la volonté d’être un minimum subversif dans le traitement narratif. Du coup, aucun personnage n’est blanc comme neige ou purement salaud. Au contraire, tous se révèlent ambigus, avec plusieurs zones d’ombre : un “méchant” devient courageux et un type a priori sympathique s’avère être une ordure.

B.R. : Tous les films de genre questionnent l’humain : qu’est-ce qu’on ferait soi-même dans une situation semblable ? C’est dans ce type de situation extrême que les êtres se révèlent.

La grande liberté offerte par le genre permet d’aborder des sujets sensibles : malaise des cités, violence, brutalité policière, racisme ordinaire…

B.R. : Ce sont des thèmes qu’on a choisi d’aborder implicitement en situant l’action à cet endroit-là. Pour autant, on ne voulait pas traiter ces sujets frontalement. Mais il y a une dimension sociale qu’on souhaitait évoquer.

Y.D. : Il est clair qu’on ne voulait pas faire un film à thèse. Mais entre le genre du film de zombie, hautement métaphorique, et le choix d’une tour HLM comme décor unique, on ne pouvait pas éviter de parler de certains sujets à connotation sociale.

Dès le début du film, le plan sur la tour dans ce paysage urbain post-apocalyptique est hallucinant. Quelles étaient vos références visuelles ?

Y.D. : D’emblée, on voulait partir d’une réalité urbaine pour aller vers le fantastique – autrement dit, jouer tout d’abord sur des couleurs désaturées et du bitume monochrome pour faire ressortir progressivement le rouge du sang et obtenir quelque chose de plus graphique.

B.R. : Quand on quitte le réalisme du polar, on arrive dans une dimension beaucoup plus “comic-book” et plus iconique. Cela vient vraiment de la volonté de mixer ces ambiances-là et de croiser les genres. On tenait à ce que les images soient fortes et on a pas mal joué sur les ombres portées et les contre-jours, comme dans une bande dessinée.

Y.D. : On retrouve cette même exigence dans tous les postes techniques : les décors, les maquillages, les effets pyrotechniques, les effets numériques, la direction d’acteurs etc. Si on perdait le spectateur à l’arrivée des zombies, on savait que la partie était perdue. Il fallait donc que la “finition”, malgré le manque de moyens, soit irréprochable.

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Le plan panoramique sur la ville à feu et à sang est saisissant. Comment vous y êtes-vous pris ?

B.R. : On n’a pas hésité à mettre le paquet, sans avoir peur du ridicule et sans craindre d’être snobés par les spectateurs. Bref, on a totalement assumé notre volonté que ce soit notre “plan à la Spielberg” !

Comment avez-vous tourné la scène où la horde de zombies assaillent le flic sur le toit de la voiture ?

B.R. : On a eu une chance inouïe ce jour-là ! D’abord, 300 “geeks” sont venus de la France entière pour faire de la figuration. Et on s’est aussi dit que si on devait utiliser une grue pour un seul plan du film, c’était bien celui-là ! On a donc eu nos 300 figurants adorables et super disciplinés et une grue. Pour nous, c’était une journée cadeau.

Y.D. : Ce qui est hallucinant, c’est que c’était la journée qui nous faisait le plus peur : on pensait qu’on allait vraiment souffrir et vivre un enfer au niveau de la logistique. Et miraculeusement, cela s’est avéré être la journée la plus simple et la plus cool du tournage.

Tout s’est donc passé sur du velours ?

Y.D. : Pas tout à fait. Car il faut bien voir qu’on n’avait qu’une seule journée pour tourner une séquence avec 300 figurants, ce qui est totalement inconscient au départ ! On comptait donc sur les effets numériques. En plus, Jean-Pierre Martins (Ouessem) s’est déboîté l’épaule dès la deuxième prise, mais il n’a rien dit et a continué à se prendre les coups des figurants. Ensuite, au montage, on a dû récupérer des chutes des caméras du chef-opérateur pour avoir des plans d’inserts. Tout le monde a dû faire preuve de créativité pour trouver des solutions dans l’urgence.

B.R. : On savait d’entrée de jeu que pour avoir l’énergie qu’on voulait, il fallait qu’on tourne dans l’urgence.

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Il y a aussi un humour inattendu, grâce à certains personnages.

Y.D. : Oui, c’est en grande partie dû aux acteurs. C’est avant tout Yves Pignot (René) qui est un immense comédien de la Comédie française et qui était à fond dans son personnage : grâce à lui, René semble tellement fou qu’il en devient drôle ! Ou encore Jo Prestia (José), sorte de Tony Montana des années 70, qui apporte un vrai décalage à l’univers du film.

B.R. : Pendant le tournage, on était loin de se douter que le résultat serait aussi ludique et “comic book.” C’est au montage que les choses se sont précisées et, au final, on s’est rendu compte qu’on a réalisé un film qui nous ressemble.

Où avez-vous tourné ?

B.R. : Pour les extérieurs, on a tourné dans la cité de La Forestière à Clichy-sous-Bois. Pour les intérieurs, y compris le parking, on a construit nos décors dans un immense hangar désaffecté des Galeries Lafayette : c’était le seul espace où l’on pouvait avoir suffisamment de place pour nos besoins spécifiques.

Vous n’avez pas eu de problèmes majeurs dans la cité ?

Y.D. : Ce qui nous a pas mal amusés, c’est qu’à 200 mètres de là, Luc Besson et son équipe se faisaient brûler leurs voitures et ont dû arrêter leur tournage en cours… De notre côté, notre régisseuse a eu l’intelligence de prendre contact avec les habitants 6 mois avant le tournage et elle les a ensuite fait travailler sur le plateau.

B.R. : Il était hors de question qu’on aille tourner là-bas sans impliquer les gens du coin, d’autant qu’on tournait de nuit et qu’on avait besoin d’installer du matériel sur leur balcon ou dans leurs appartements.

Comment s’est passé le casting ?

Y.D. : On ne voulait surtout pas faire comme beaucoup de films d’horreur actuels où on ne voit que des top models de 18 ans insupportables ! Ce qu’on cherchait, c’était retrouver tout ce qu’on a aimé dans le cinéma français populaire des années 50 et 60 : des “gueules.” On a donc choisi nos comédiens pour leur charisme et leurs parcours, extrêmement différents les uns des autres. Du coup, pour certains rôles, on a fait appel à des acteurs qui avaient peu tourné auparavant, Doudou Masta est rappeur, Jean-Pierre Martins fondateur et saxophoniste du groupe SILMARILS, Jo Prestia champion de kickboxing, Alain Figlarz chorégraphe de combats – pour leur naturel et leur physique : avec des mecs comme Doudou Masta ou Jo Prestia, on a d’emblée l’impression que leur visage raconte une histoire. D’autre part, on a travaillé avec des comédiens de théâtre, comme Aurélien Recoing ou Yves Pignot, parce qu’ils ont une discipline et une exigence qui tiraient tout le monde vers le haut, tandis qu’eux s’attelaient à des exercices physiques auxquels ils n’étaient pas habitués. Il s’est donc vraiment créé une alchimie entre des gens qui venaient d’univers complètement opposés.

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Vous n’avez pas eu trop de mal à convaincre les gens de théâtre à venir dans votre univers ?

B.R. : Au départ, on leur a parlé du côté film de réflexion sur la société française, utilisant les libertés du film de genre pour passer auprès d’un public large. Mais très vite, on s’est rendu compte que le fait de porter un pistolet et de tirer sur des zombies toute la journée les amusait beaucoup ! Du coup, ils ont totalement cru à leurs personnages et se sont donnés à 100%.

Les maquillages sont impressionnants.

Y.D. : On a beaucoup réfléchi au “comportement” de nos zombies : ils réagissent comme une meute d’animaux qui souffrent. Le maquillage devait donc intégrer cette dimension : il fallait que la contamination fonctionne comme des plaies qui s’ouvrent pour qu’on ressente leur souffrance.

Combien de temps a duré la post-production ?

B.R. : 8 ou 9 mois ! En fait, on a pris beaucoup de retard sur les effets numériques car on s’est aperçu qu’on avait plus de plans à truquer que prévu. En tout, on s’est retrouvés avec près de 200 plans d’effets numériques.

Comment avez-vous travaillé le son ?

Y.D. : On a énormément travaillé les cris des zombies : on a parfois mixé les voix d’une quinzaine de personnes, en les modifiant et en rajoutant des intonations. On a même développé un logiciel permettant de mixer des voix humaines et des cris d’animaux.

B.R. : On ne cherchait pas forcément le réalisme. Par exemple, pour un seul son de pistolet, on utilisait 7 à 9 composantes sonores pour que l’effet soit maximal.

Et la musique ?

Y.D. : Comme on est assez fans de jeux vidéo, on s’est rendu compte qu’il y avait là des musiques épiques qui correspondaient à ce qu’on recherchait et que l’un des meilleurs compositeurs en la matière était Christopher Lennertz.

B.R. : En faisant quelques recherches, on a constaté qu’il avait collaboré à de grosses comédies hollywoodiennes et à des tas de jeux vidéo dont on avait adoré la musique, sans avoir retenu son nom. C’est une vraie star dans son domaine.

Et cela ne vous a pas effrayés ?

Y.D. : On s’est évidemment dit qu’il serait inabordable ! Mais je lui ai quand même envoyé un e-mail en lui expliquant que nous étions deux jeunes réalisateurs français inconnus qui souhaitions tourner le premier film de zombie en France et qu’on adorait son travail… Dès le lendemain, il nous a répondu en nous demandant de lui envoyer des éléments : on lui a fait parvenir le scénario et une bande-annonce et, deux jours plus tard, il nous a donné son accord ! Il a tellement cru au projet qu’il est allé chercher des instruments en Asie pour nous proposer des sonorités incroyables – tout en étant constamment à notre écoute.

B.R. : On a eu une relation extraordinaire avec lui, bien qu’on ne l’ait jamais rencontré puisqu’on fonctionnait uniquement par échanges d’e-mails. Et le plus sidérant, c’est qu’en dépit de sa notoriété, Christopher n’a aucun ego. Il n’a jamais hésité à revoir sa copie et à prendre en compte nos remarques. Sa musique a vraiment élevé le niveau du film.

2 plusieurs commentaires

  1. Superbe interview, merci de la partager.

    On voit vraiment qu’ils en veulent, il me tarde de plus en plus de voire la horde. J’espère qu’il comblera mes attentes, réponse dans une semaine et demi…

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