La genèse de Godzilla : entretien avec Gareth Edwards

La genèse de Godzilla : entretien avec Gareth Edwards

En 1954, la société de production japonaise Toho a distribué Godzilla, film de monstres novateur réalisé par Ishiro Honda, dans un pays encore traumatisé par les  ravages de la Seconde Guerre mondiale. Le film a connu un énorme succès au Japon et  soixante ans plus tard, il continue à faire parler de lui dans le monde entier pour avoir  cristallisé les peurs et les angoisses liées à l’ère atomique dans une redoutable force de la nature.

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C’est la référence absolue en matière de films de monstres”, explique Gareth Edwards, aux commandes de cette relecture spectaculaire de la création  emblématique de Toho. L’enfance d’Edwards, réalisateur d’origine anglaise, a été bercée par les films de monstres japonais, jusqu’à ce qu’il découvre le chef-d’œuvre de Honda en DVD et qu’il soit fasciné par sa dimension allégorique, mais aussi très actuelle. “Où que vous alliez dans le monde, tout un chacun reconnaitra l’ombre de ce dinosaure géant qui se profile au-dessus d’une ville, et saura exactement de quoi il s’agit, qu’il ait vu un film de la saga Godzilla ou non. Mais ce que beaucoup de gens ne savent pas, c’est que le Godzilla japonais d’origine est en réalité un film très sérieux. Je pense que c’est ce qui explique qu’il ait été à ce point adopté par la culture japonaise, car non seulement c’est un grand film de monstres, mais il a un effet cathartique pour tous ceux qui ont découvert ces images réalistes à l’écran“.

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Si plusieurs scènes ont fait l’objet de nouvelles prises, pour adoucir certains aspects métaphoriques, le film a été doublé dans de nombreuses langues pour sortir à l’étranger deux ans plus tard : c’est alors que la légende est née. Au cours des soixante dernières années, l’imposant “roi des monstres” a imprégné la culture pop et donné lieu à toute une saga et à de nombreux produits dérivés. Il s’est incarné dans tous les domaines, de la bande dessinée au jeu vidéo. Un genre de films totalement nouveau a vu le jour, le kaiju eiga, et Godzilla est devenu l’un des héros de films les plus aimés et les plus emblématiques du XXème siècle.

Pour relever le défi que représente la réinvention d’une telle icône, il fallait un réalisateur qui puisse offrir une perspective nouvelle et un style cinématographique personnel, tout en restant fidèle à l’identité et à la nature profonde de Godzilla. Gareth Edwards est un jeune réalisateur qui a  bouleversé le paysage du cinéma indépendant avec Monsters : il a écrit et réalisé le film, mais il en a aussi signé les décors et la lumière, sans compter qu’il a également mis au point, seul, l’ensemble des effets spéciaux sur son ordinateur portable.

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Dans Monsters, il a dû suggérer beaucoup plus que ce qu’il pouvait se permettre de montrer. Il s’est attaché à la psychologie des personnages, enracinés dans le monde réel, et à partir de là, il a imaginé d’autres univers. Edwards, conscient qu’on lui confiait les rênes d’une légende, est allé puiser son inspiration – comme Ishiro Honda avant lui – dans le monde qui l’entoure. “Je sais que ça paraît impossible, mais imaginons un instant l’arrivée d’une créature gigantesque avec laquelle l’humanité ne peut même pas communiquer, sans parler de la contrôler… Comment pourrions-nous faire face à une telle situation ?”, se demande-t-il. “Comment réagirait le monde ? On a tous vu ou vécu des catastrophes incompréhensibles, naturelles ou autres, qui pourraient évoquer un scénario de cinéma si elles ne s’étaient pas réellement produites. Du coup, la difficulté, pour arriver à mettre au point cette relecture de GODZILLA, était de refléter cette réalité, qui nous ramène au cœur même de l’identité du monstre”.

Installé à Londres, le réalisateur s’est lancé dans un véritable marathon avec Max Borenstein, scénariste, pour construire une histoire qui fasse référence aux origines de Godzilla, et qui retrace les événements mystérieux annonçant son retour dans le monde contemporain. Borenstein a écrit le scénario à partir d’une histoire de David Callaham, après une longue période de recherches pendant laquelle il a visionné les 28 Godzilla produits par Toho, et notamment les séries Showa, Heisei et Millennium. “Notre ambition était de traiter cette histoire comme s’il s’agissait d’un incident possible et terrifiant qui pourrait survenir aujourd’hui, en lui conférant toute la gravité d’une catastrophe réelle. Mais nous avons choisi le genre du film de monstres afin que ce soit plus divertissant et spectaculaire pour le public. Le film d’origine est un conte fabuleux qui pointe la fragilité de l’humanité face à la nature, mais aussi la force et la résilience qui permettent à l’homme de se relever et de survivre à une catastrophe d’une telle ampleur”.

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Avant de tourner le moindre plan de Godzilla, le réalisateur et les producteurs ont créé une bande annonce de 90 secondes retranscrivant précisément l’atmosphère qui règne dans le film. Et ils l’ont présentée lors du Comic-Con International devant près de 7000 fans déchaînés. À l’image, les visiteurs ont découvert des plans, proches d’un reportage, d’une ville en ruines, tandis que la gigantesque créature, caractérisée par son rugissement assourdissant, est apparue au milieu de la fumée et de la poussière.
Sur l’écran, s’inscrivent les mots terrifiants de Robert Oppenheimer, le “père” des bombes atomiques qui ont réduit Hiroshima et Nagasaki en cendres radioactives. On voit défiler les écritures hindoues évoquant cette boîte de Pandore désormais ouverte : “Maintenant je suis devenu la mort, le destructeur des mondes”.

Il y a toujours eu une part de mystère et de dualité autour du personnage de Godzilla, créature qui suit farouchement son instinct, sans jamais se fondre dans l’humanité, mais qui s’élève au-dessus d’elle en surgissant inexorablement des flots. “Les monstres ont toujours été la métaphore d’autre chose”, remarque Edwards. “Ils représentent notre part d’ombre et notre peur de ce qui nous échappe. D’une certaine manière, Godzilla incarne presque une sorte de ‘colère divine’ – pas au sens religieux, mais plutôt comme si la nature voulait nous punir pour ce que nous lui avons infligé. C’est dans cet état d’esprit que nous avons construit l’intrigue”.

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