Dellamorte Dellamore

Dellamorte Dellamore (1994)

1 h 43 min | Comédie, Horreur | 25 mars 1994
Note
8/10
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Francesco Dellamorte, jeune homme solitaire et dépressif, est le gardien d'un cimetière bien spécial : au bout de 7 jours, les cadavres se réveillent et quittent leur tombe en quête de chair fraîche. Accompagné du fidèle Gnaghi, un simplet ne s'exprimant que par l'onomatopée "gna", Francesco se charge de les remettre en terre…

Francesco Dellamorte, mélancolique gardien de cimetière, flanqué de son fidèle compagnon, Gnaghi, a depuis quelque temps du pain sur la planche. Les morts enterrés dans son cimetière reviennent à la vie et cette mystérieuse épidémie se propage de tombe en tombe, de nuit en nuit.

Curieux ovni que ce Dellamorte Dellamore dans le paysage cinématographique d’horreur contemporaine… Michele Soavi, connu surtout pour avoir été l’assistant-réalisateur d’éminents cinéastes tels que Dario Argento (sur Tenebre, Phenomena et Opera), Lamberto Bava (Demons) et Terry Gilliam (Les Aventures du Baron de Münchhausen, Les Frères Grimm) atteint la consécration avec cette allégorie poético-baroque d’une condition humaine condamnée depuis ses origines jusqu’à sa disparition future à demeurer sous le signe de la vacuité et de la répétition cyclique.

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Ce qui caractérise le plus Dellamorte Dellamore, c’est indéniablement sa dimension complètement décalée : absurdité des dialogues, des personnages et des situations ; mais aussi de la mise en scène, du jeu des acteurs et même de la bande-sonore. Le spectateur ne s’étonnera donc pas de voir un jeune zombie-biker sortir de sa tombe pour faire du cross dans le cimetière de Buffalora (parce qu’il a été enterré avec sa bécane, logique) ; ou encore une tête coupée qui parle et qui « marche » (et qui saute, par extension), pour n’en citer que deux. De plus, le film mélange allègrement plusieurs registres différents avec une fluidité épatante : humour noir, drame, horreur, gore et romantisme s’entremêlent le plus naturellement du monde pour produire une œuvre fondamentalement atypique qui parvient à susciter en chacun de nous une kyrielle de sentiments aussi variés que contradictoires. Le tandem étrangement assorti Franceso Dellamorte (Rupert Everett, habitué des comédies romantiques avec en tête Le Mariage de mon Meilleur Ami) et son fidèle assistant Gnaghi (le Garçon Boucher de gauche François Hadji-Lazaro) constitue en lui-même un ensemble d’oppositions assez cocasses : l’un est un philosophe du dimanche dépressif et misanthrope dont la principale distraction consiste à lire et à relire encore et encore le bottin de sa chère petite ville natale, et l’autre ressemble à un enfant de cinq ans prisonnier dans un corps d’adulte obèse qui voue une passion sans bornes aux feuilles d’automne et aux fifilles à papa… Ce couple comique à la Laurel et Hardy est le noyau dur de l’histoire, le vecteur principal de toute action, le seul point de vue diégétique auquel nous devrons nous rattacher du début à la fin du film.

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Dellamorte Dellamore multiplie également les phrases-chocs aux allures d’aphorisme Nietzschéens qui ont vraiment tout ce qu’il faut pour devenir cultes auprès des cinéphiles un brin blasés de la vie… Ainsi le ténébreux Dellamorte ponctue t-il les tristes évènements de son quotidien par quelques déclarations délicieusement ironiques qui font pétiller l’esprit : « Je donnerais ma vie pour mourir… » ; « Parfois il arrive un moment dans la vie où l’on connait plus de morts que de vivants… » ; « J’aurais du m’en douter, le Monde ne peut pas exister… » ; et la liste serait encore longue tant chaque chose, même la plus infime, est pour Dellamorte l’occasion de se livrer à des exercices de sarcasme désabusé qui font tout son charme. Et ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la femme de sa vie s’avère être une gérontophile assumée que la vue d’un ossuaire suffit à rendre chaude comme la braise  (« Waaah… C’est ce dont j’ai toujours rêvé ! »)… Les autres personnages ne sont pas en reste non plus : « On ne vit que pour mourir ! » s’écrie le Maire qui craint que la mort prématurée de sa fille ne le désavantage pour les élections ; « Mêlez-vous de vos affaires, je me fais manger par qui je veux ! » se défend la jeune fille éplorée à la mort de son cher Claudio revenu d’entre les morts avec une faim de loup ; etc. Les dialogues ne se prennent donc que très rarement au sérieux, et c’est ce qui fait toute l’originalité de ce long-métrage marqué par le contraste et le décalage permanent.

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Les effets spéciaux sont également vecteurs d’un second degré très prégnant : souvent outranciers (les effusions de sang démesurées), parfois volontairement ridicules (tiens ?! on voit les fils, ha ha…). Les scènes gores ou d’action sont dans l’ensemble plutôt fun et suivent toutes une logique humoristique empreinte d’un cynisme très fort. Le jeu des acteurs, et surtout de l’excellent Rupert Everett, va dans le sens de cette profonde ironie qui élève Dellamorte Dellamore au rang d’œuvre magistralement subtile et réflexive. Même la bande-son s’accorde à merveille à cette profusion d’images carnavalesques, notamment de par la présence improbable d’Ozzy Osbourne pour la chanson “Hellraiser“. Tantôt grotesque, tantôt dramatique, la musique a bénéficié d’une réelle recherche esthétique pour apporter au film une force supplémentaire dans l’absurdité tragique qu’il s’efforce de retranscrire à l’image. Il est également à noter que Dellamorte Dellamore contient de nombreuses références à des artistes peintres et sculpteurs appartenant aux mouvements symboliste et surréaliste. Ce parti-pris artistique confère quant à lui une ambiance sombre et poétique à cette œuvre véritablement unique en son genre, un caractère triste et infiniment pessimiste qui se retrouve dans presque chaque plan du film.

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L’autre point fort du film reste son ambiance baroque inimitable en grande partie due au choix de faire se dérouler l’action principalement dans l’enceinte du cimetière de Buffalora… Brouillard omniprésent, statues gothiques imposantes, catacombes enténébrées, pierres tombales massives et  recouvertes de végétation mortuaire, prédominance de l’obscurité et absence quasi-totale de lumière, feu follets, chrysanthèmes, pleine lune envoûtante ; le style de Dellamorte Dellamore prend parfois des allures Burtoniennes et peut même faire penser à l’atmosphère à la fois angoissante et étrangement chaleureuse de L’Étrange Noël de Mr Jack. La présence ponctuelle de la Faucheuse, le mystère impénétrable qui entoure le brusque réveil des morts (et qui ne sera d’ailleurs jamais explicité) ainsi que les phénomènes inexpliqués qui surviennent dans l’entourage de Francesco Dellamorte enrichissent le film d’une dimension surnaturelle, voire même surréaliste, qui corrobore parfaitement le message que cherche à transmettre le scénario de Gianni Romoli, d’après l’œuvre de Tiziano Sclavi. L’œuvre toute entière est ainsi auréolée d’une forte sensation d’étrangeté, d’illogisme et d’inconnu, et c’est d’ailleurs ce qui lui permet de tirer son essence magique de fable fantastico-mélancolique…

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De manière générale, l’esthétique du film reste très soignée : Dellamorte Dellamore regorge de plans somptueux bénéficiant d’une mise en scène extrêmement pointilleuse. Jouant sur la superposition (Dellamorte se retrouve quelquefois affublé des ailes de la Faucheuse statufiée via un savant travail sur la disposition des corps), le ralentissement d’images et le contraste, le film affirme son originalité dans le genre zombiesque en affichant un goût très prononcé pour le Beau de « L’Art pour l’Art ». Enfin, je souhaiterais parler du dénouement final (tout en prenant bien garde de ne pas spoiler) car il demeure réellement indispensable à toute approche analytique du film. C’est un fait, le film ne prend de véritable sens qu’au vu de la fin, car c’est alors que le message allégorique que Dellamorte Dellamore s’applique à véhiculer par l’intermédiaire des divers éléments que nous avons énoncés précédemment peut enfin se déployer entièrement. C’est donc un final inattendu, difficilement saisissable au premier abord mais dans tous les cas hautement symbolique que nous propose cette histoire à très forte portée dramatique dont tous les composants s’unissent vers une seule et même orientation : délivrer un point de vue, aussi subjectif soit-il, sur le sens de l’existence humaine. Ou plutôt l’absence totale de sens, en démontrant le caractère vain et répétitif d’une vie qui nous enferme et dont on ne peut s’échapper, quoi que nous tentions et quelles que soient les illusions avec lesquelles nous nous persuadons du contraire. C’est donc en grande partie grâce à cette fin à l’opacité mystérieuse que le caractère absurde du film dans son intégralité revêt tout son sens, et c’est seulement alors que nous pouvons entrapercevoir les intentions véritables de l’auteur.

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Dellamorte Dellamore reste donc une œuvre intrinsèquement étrange, tantôt drôle, tantôt désespérée, plus sceptique et pessimiste qu’un Schopenhauer mais qui parvient néanmoins à allier l’utile à l’agréable en nous proposant un excellent divertissement qui porte en son sein une matière à réflexion indéniablement intéressante et originale. Pour ceux qui apprécient l’absurdité sous toutes ses formes et qui ont tendance à se perdre dans des méandres d’interrogations existentielles vaines et obscures, à l’image du film lui-même…

Par Emmanuelle Ignacchiti

3 plusieurs commentaires

  1. J’ai vu ce film il y a quelques années déjà… l’ambiance est vraiment très particulière. On a vraiment l’impression d’entrée dans le rêve/cauchemar de quelqu’un.
    Je me souviens qu’il m’avait laissé une sorte de sentiment désagréable.

  2. Ah n’en point douter, si je devais me retrouver enfermé dans un film, ce serait dans celui-là.

  3. A n’en point douter, si je devais me retrouver enfermé dans un film, ce serait dans celui-là.

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